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Courrier du cœur

Une des lectrices/lecteurs m'a envoyé une formule délicieuse que je me sens obligé de plagier, comme quoi ma vie sentimentale aurait des airs de "morceau de banquise où même les manchots font grève". Et une/un autre de s'étonner "Mais vous en avez une ?" Je me vexerais presque, tiens, si j'étais un petit con immature.

C'est pas parce qu'on a le sex-appeal d'une canette vide, qu'on est gaulé comme une biscotte et qu'on a le romantisme d'un camionneur que tout ce qui est féminin vous fuit. Notons d'ailleurs que je pourrais avoir le sex-appeal d'un camionneur, être gaulé comme une canette vide et avoir le romantisme d'une biscotte, ce serait pire.

Mesdemoiselles, mesdames, je me qualifierais de petit copain pas chiant.

Ha non, non je ne suis pas chiant : la preuve, je ne suis jamais là. Ma dernière petite amie en date a même fait une crise de panique en me trouvant à son réveil, tant elle avait l'habitude de me voir dans le lit.

Vous connaissez une fille qui accepterait un mec qui rentre de manière aléatoire, immonde des baskets jusqu'aux cheveux, d'une humeur à l'avenant ? Vous connaissez une fille qui aime rester collée – j'ai bien dit collée – à son mec vu qu'un yôkai bave et abondamment ? Vous connaissez une fille qui a envie de devoir gérer les services à thé anthropophages, les mange-crasse syndiqués, les kyûbi voyeurs, les yakuza psychopathes ?

Oui ?

Ben filez-moi son adresse (le bouton contact sur la droite), même si elle est pas japonaise, je prends. Pas que je sois en manque affectif (ou plus si affinités) mais par simple curiosité, je me demande à quoi peut ressembler ce genre de fille, en fait. Ha oui, une précision : humaine, la fille. Et les mecs, ça ne compte pas. Tout de suite, c'est moins simple, n'est-ce pas ?

J'ai eu quelques petites amies, rien de très concret…A vrai dire, je ne sais pas trop de laquelle parler en particulier…La kami alors que j'avais seize ans, une expérience dont j'ai retenu qu'on ferme une porte avant de commencer quoi que ce soit ? La sœur aînée de Jun Murakami, qui, aussi ravagée que son frère, entendait des voix ? L'oni joueuse de rugby ?

Tiens, oui, je vais parler de Koneko…Ca vaut son pesant d'or.

J'ai déjà parlé des oni à plusieurs reprises, qui sont utilisés à l'heure actuelle comme "gros bras", principalement, puisque leur capacité cognitive se limite à compter sur leurs doigts sans se tromper et sans enlever leurs chaussures pour les plus futés. Leurs femmes, selon les espèces sont soit des boxeuses qui vous feraient ravaler toutes les conneries sur le sexe faible – et vos dents avec – soit des demoiselles à l'apparence presque humaine, athlétiques et dont la force, sans égaler celle des autres oni leur permet tout de même de vous plier le coude à 180 degrés pendant un bras de fer. Moins caractérielles, elles sont extrêmement têtues et mal renseignées sur le monde humain, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes : elles adorent s'amuser et comme se courir après en petit pagne, seins à l'air, armées de gourdins ça se fait pas trop à Tokyo, les onmyôji et le gouvernement ne savent pas vraiment quoi en faire.

Elles ne sont pas méchantes, juste dépourvues du moindre soupçon de discipline. Bref, parfaitement compatibles avec moi, je m'étonne même n'avoir jamais pensé à tenter ma chance avec l'une d'elles avant, elles apprécient qu'on les courtise un peu. Comme quand je drague je n'ai aucune diplomatie, aucun romantisme, aucune finesse d'esprit parce que je suis mal à l'aise, il n'y a qu'une oni pour trouver ça intéressant.

Mais bon, Koneko, j'ai même pas eu le temps de la draguer en fait.

***

"Alors, qu'est-ce que vous en dites ?"

"Que finalement, si on enlève le ballon, le rugby c'est pas si différent d'un pâturage : 15 bovins enfermés dans un carré d'herbe."

S'il y a bien une chose qui me gonfle autant que les réunions, c'est de regarder les autres faire du sport. J'aime bien jouer au ballon, j'ai même déjà servi de goal de secours une fois à ma petite cousine qui ne voulait pas déclarer forfait face à l'équipe d'en face mais à regarder, je trouve ça aussi frustrant que du lèche-vitrine quand on a pas un rond. L'entraîneur me fait les gros yeux et je lui oppose mon petit sourire, satisfait d'avoir été désagréable.

"Ceci dit, dans vos bovins, il y a bien un mouton noir. Vos soupçons étaient confirmés."

"Mes soupçons ?"

"J'ai reçu un courrier pour me prévenir de la présence probable d'un yôkai dans l'équipe, il n'était pas de vous ? Quoi qu'il en soit, l'essai marqué par votre attaquant, là, m'a paru un tantinet trop…efficace."

Il faut dire, le ballon s'est enfoncé dans la pelouse, dont il a fallu l'extraire. Je me lève.

"Et qu'allez-vous faire ?"

"Lui demander un autographe, bien sûr. Ha et lui signaler qu'il est viré, aussi…Vous pouvez venir, si vous voulez prendre quelques coups collatéraux, je dis pas non."

"V…Viré ?"

"Vous savez ce qui va arriver à votre équipe si jamais il s'avère pendant un match qu'elle contient un yôkai ? Je fais pas de contrôle anti-dopage en fin de parcours, moi. Votre joueur prodigue, s'il défonce la gueule d'un adversaire, c'est peut-être dans l'esprit du jeu mais dans les règles du mien, on appelle ça un meurtre."

Et je descends jusqu'aux vestiaires, où je me retrouve nez-à-nez avec une dizaine de paires de jambes musclées surmontées d'un short. Je ne m'étais jamais trouvé particulièrement avorton avant cette confrontation, un peu plus après coup.

"Hem…Excusez pour le dérangement. Je viens voir Komaro Masagi."

Ils me désignent le fond du vestiaire et je passe entre eux presque sur la pointe des pieds, songeant avec empathie à ce que doit ressentir une murène au milieu des requins. Komaro se change derrière les casiers, dans un coin d'ombre.

"Ben alors on est pudique ? Ou c'est pour éviter que tes petits camarades s'aperçoivent que t'as des griffes ou une queue, hein, Komaro ?"

Il tressaille et se tourne instinctivement vers moi…Et c'est là que je note un double détail…Le genre…pulmonaire.

Une fille ? Je m'attendais à peu près à tout comme type de yôkai mais pas à une nana. Soit, Komaro était plus mince et plus petit que les autres joueurs mais ça ne me serait jamais venu à l'idée qu'un – enfin une – yôkai soit assez tordue pour se faire passer pour un homme.

Elle hésite quelques secondes, me dévisageant. Je ne sais pas ce qu'elle a pu en conclure mais il devait y avoir "bonne poire" dans son analyse parce qu'au lieu de me sauter dessus pour me fracasser le crâne ou de me plier en origami dans un casier, elle colle son nez contre le mien en dardant sur moi d'immenses yeux sombres.

"Dis rien. S'il te plaît."

"Et puis quoi encore ? Que j'attende que tu fasses bouffer le ballon à un joueur sur le terrain ?"

"S'il te plaît. S'il te plaît. S'il te plaîîîîît !"

"Ben il me plaît pas. Tu veux pas passer un tee-shirt ?"

Oui parce que pendant son plaidoyer, elle ne s'était toujours pas rhabillée et j'avais vue imprenable sur la mer avec balcon, sacré manque à gagner pour mon autorité naturelle. Elle m'attrape les mains.

"Et je te laisse sortir avec moi une soirée ?"

"Hein ? Non mais t'es pas bien, tu sais qui je suis ?"

"Bon, bon…Alors trois soirées." Concède-t-elle avec un grognement.

Est-ce que j'étais bien luné, est-ce qu'elle était assez mignonne pour ça, je ne saurais pas dire mais ça m'a arraché un sourire. Il y a des yôkai sympathiques et qui savent le montrer instantanément. Koneko – son vrai prénom, transformé en Komaro pour l'occasion – était une fille gonflée. Pour draguer le maître onmyôji chargé de l'expulser de son équipe, il fallait oser et si elle était mal tombée j'aurais pu prendre la mouche (ainsi que sa tête et la faire entrer en collision avec le mur le plus proche pour couper court à toute conversation. C'est brutal mais avec un oni, c'est empêcher qu'il le fasse avant vous.).

"Je suis pas là pour abuser de ta…heu…position de faiblesse." J'ai bien tenté d'argumenter.

Mademoiselle a fait deux pas en arrière, m'a détaillé des pieds à la tête avant de tirer sur mon sweat sans autre forme de procès pour examiner ce qu'il y avait dessous.

"Ho, ça peut aller. Puis les gens comme vous c'est solide, hein ? Je risque pas de te casser un truc ? Et tu me laisses jouer le match de la semaine prochaine ? S'il te plaît ?"

Présenté comme ça on pourrait croire que j'ai cédé à Koneko parce qu'elle a fait sa demande les seins à l'air, hé bien non. Ok, ça a un peu aidé mais chez elle, c'est ses yeux qui ont fait fondre ma détermination : de grands iris noirs et à peine en amande, pétillants, qui me donnaient instinctivement envie de sourire. Sans le lui avoir jamais demandé, je pense que Koneko n'était qu'à moitié yôkai. En tout cas, elle avait bien les attributs des oni : les cornes, les petites dents pointues, les canines légèrement proéminentes et le nez en trompette.

J'ai râlé pour la forme, je lui ai demandé de lâcher mon sweat, de crainte qu'elle n'aille checker plus bas et j'ai dit "d'accord". En fait, je ne comptais même pas sortir avec elle, j'étais convaincu qu'elle disait ça pour m'amadouer et me planter ensuite…C'était sans compter sur la personnalité des oni, incapables de coups foireux. A la fin de l'entraînement, Koneko est venue me trouver dans les gradins, une fois certaine que les autres joueurs étaient partis, et elle m'a traîné jusqu'à un grill coréen qu'elle adorait.

"Pourquoi c'est si important ton match ? Tu ne peux pas jouer avec les autres oni ?"

Koneko était peut-être mignonne mais la voir manger rappelait sans problème de quelle ethnie elle provenait : la regarder empiler ses bouts de viandes les uns sur les autres jusqu'à en faire un bloc compact pour mordre dedans, c'est pas l'idée que je me fais d'un restaurant romantique. Mais vu mon niveau en romantisme, ça allait.

"Les match oni c'est chiant. Ils finissent toujours par se taper dessus et c'est le survivant qui fait gagner son équipe."

"Ho, chez les humains on a ça aussi, nous on appelle ça les soldes. Et le match de la semaine prochaine ?"

"C'est la sélection…Si on veut aller en championnat. Et je suis sûre qu'on peut y aller, si on se donne à fond, moi je m'entraîne tous les soirs. T'imagines ? Sélectionnés ?"

Ses yeux brillent et je lui souris.

"Moi je l'ai été à la naissance alors je sais pas vraiment ce que ça fait…Mais à te regarder, c'est une sensation chouette."

"Y'a pas de concours pour devenir onmyôji ?"

Plantant mes baguettes sur un morceau de viande avant qu'elle ne me le pique, je réponds en soupirant :

"Si. Ca consiste à survivre à tes premières pneumonies après des heures passées sous une cascade glacée."

"Wah…Tu crois que ça marcherait pour notre entraînement ?"

"On t'a déjà parlé du second degré ?"

"Tu parles plus de température, là, c'est ça ?"

Je me mords la lèvre pour ne pas rigoler et elle se renfrogne, engouffrant rageusement sa pièce de viande

.

"Ho, ça va hein, je sais que je suis une idiote, pas la peine de me le rappeler."

"Hmm…Non, non, tu as juste UN PEU de mal avec le concept de l'ironie. Avec moi, ça va être rude, je te préviens. Tu es déjà sortie avec un humain ? "

"Nan. Mon frère veut pas."

Je fronce les sourcils.

"Et tu le laisses décider à ta place ?"

"Ben c'est pas ça mais les humains, mon frère veut jouer avec et après y'a plus grand-chose à en tirer, c'est pour ça, je me suis dit que toi tu pourrais toujours lui claquer deux beignes s'il essayait."

Ben voyons…Elle est capable d'incruster un ballon de rugby dans une pelouse et de tordre une fourchette avec le petit doigt mais c'est moi qui dois expliquer au grand frère que sa sœur se tape qui elle veut. Et ne croyez pas que ce soit du syndrome de femme battue, hein, chez les jeunes oni c'est plutôt de la flemme, à mon humble avis.

Alors qu'elle entame paisiblement son dessert, je sens un contact contre ma cheville et tique, jetant un œil sous la table pour constater que Koneko s'est mise pieds nus, d'un, qu'une oni ça a de jolis mollets, de deux et qu'elle remonte tranquillement le long de ma jambe, de trois.

"Heu…On est…en public, là ?"

"Hé, j'ai encore rien fait." Me glisse-t-elle avec un petit sourire.

"Encore ? Après un entraînement, t'as la santé, toi !"

Je m'étrangle avec mon verre de bière quand elle continue tranquillement son chemin.

"Si je te suis bien, Koneko, j'ai le choix entre pas de dessert ou attentat à la pudeur ?"

"Vous êtes pas marrants, vous, les humains, on peut même pas jouer où on veut."

Une sonnerie hargneuse, annonciatrice du "cassage de coup en règle" jaillit alors de ma poche. Je décroche, me préparant déjà mentalement à mettre prématurément fin à notre courte idylle. On a besoin de moi. Genre tout de suite. Genre rien à foutre que là je sois avec une fille qui me plaît, nonobstant ses petites cornes. Genre elle peut être mignonne et marrante, genre je lui plais vaguement à elle aussi, ça pourrait être la femme de ma vie, rien à foutre on vous dit, la sécurité du pays vaut bien quelques années de célibat supplémentaires. Et merde.

"Désolé, Koneko mais…je vais devoir y aller."

"Ho déjà ?"

Pince-sans-rire, je lui signale que je lui épargne une soirée très emmerdante en ma compagnie et que là je dois aller sauver le monde mais que promis, je fermerai ma gueule et elle jouera son match, que même si je n'en ai pas l'air, je SAIS fermer ma gueule.

"Bon ben je t'accompagne."

"Pardon ?"

"Tu sauves le monde et on va chez toi, ok ?" M'assène-t-elle avec un grand sourire, tout en me piquant ce qui reste de mon assiette. "T'en auras pour longtemps ?"

"Heu…Koneko, j'étais sérieux."

"Ben moi aussi. Je te gênerai pas, t'inquiètes, je resterai en spectatrice. Tu dois aller où ?"

"J'attends les coordonnées…" Je réponds en jetant un coup d'œil à mon téléphone, qui m'annonce un nouveau message. Mes sourcils bondissent aussi sec tandis que ma précieuse intuition, celle qui fait de moi un fouille-merde de concours me souffle que c'est une bien curieuse coïncidence.

"Au stade…"

"Sérieux ? Là où je m'entraîne ? C'est drôle, ça !"

"Drôle, ouais…Quelque chose me dit qu'on ne va pas rire longtemps."

Me levant, je demande l'addition et Koneko se dépêche de terminer son bol avant de m'emboîter le pas, saisissant mon bras pour passer le sien dessous. Dommage que je ne sois déjà plus en état d'apprécier, plus occupé à flirter avec celle qui à ce jour est encore la femme de ma vie, à savoir : mon intuition (Voir plus haut).

***

En arrivant au stade, l'aura qui s'en dégageait m'a directement mis au parfum : il y avait quelqu'un là-dedans de plus vraiment vivant…

"Koneko…Il s'est déjà produit un accident pendant vos entraînements ou vos match ?"

"Heu…Qu'est-ce que tu entends par accident ?"

"Est-ce que tu as déjà bourré la gueule à un joueur adverse ? Et par "bourré" j'entends avec évacuation dans un seau plutôt que sur une civière."

En posant la main sur la porte des vestiaires, j'ai la chair de poule. Ha oui, c'est vraiment du spirituel, bien dégueu, bien rancunier, tout ce qu'il faut pour plaire.

"J…J'ai cassé le poignet d'un adversaire une fois."

"Cassé ou détaché du corps ?"

"Cassé ! Tu me prends pour qui ?"

"Pour quelqu'un capable de le faire, Koneko. En arrière."

Ouvrir la porte sans une protection adéquate serait équivalent à se coller la tête dans un micro-onde en marche. Je place des fuda partout autour de la serrure et déploie mon kekkaï avant de coller un bon coup de savate plutôt que de prendre le risque d'utiliser la poignée. A l'intérieur, entre les casiers, je reconnais un des joueurs…dont émane cette aura proprement immonde.

"Chouette. Une possession. J'avais pas encore eu, cette semaine…Koneko, c'est quoi son pedigree à celui-là, tu connais ?"

"C'est Chimaru-san, notre capitaine d'équipe. Il…Il est au courant pour moi."

Alors que nous avançons, Koneko me chope par la manche et me désigne un des casiers, les yeux écarquillés. L'entraîneur – enfin ce qu'il en reste – est là, proprement épinglé, dans un maelström de rouge et de trucs collants…Et moi je commence à regretter le grill coréen que je viens de m'envoyer.

"Ca ne va pas, Satoru ?"

"Je supporte pas la vue du sang."

Voyant qu'elle hausse un sourcil, je grogne.

"Et je me passe de tes commentaires."

"Ca doit pas être pratique…Qu'est-ce qu'il a, Chimaru-san ?"

Je débouche ma bouteille d'eau scellée, au fond de ma sacoche et en profite pour m'en coller un peu sur la figure, histoire de reprendre contenance.

"Possédé…Par un esprit, je sais pas si c'est du mort ou du vivant mais on ne va pas tarder à l'apprendre."

"Et ça change quoi ?" Me souffle Koneko alors que nous ne sommes plus qu'à quelques mètres du rugbyman, qui paraît nous attendre.

"Si c'est un esprit mort, on peut le défoncer. Si c'est un esprit vivant, les flics vont pas aimer et mon estomac encore moins. Reste à distance, j'ai pas envie que tu prennes un mauvais coup"

Un sifflement nous alerte juste à temps et nous sautons chacun d'un côté, esquivant le coup de poing que tente de nous administrer Chimaru. Je recule entre les casiers et constate qu'il s'intéresse plutôt à moi, se rapprochant, les poings serrés.

"Toi aussi, tu es dans son camp…"

"Dans le camp de ? J'avoue, je nourris une vocation politique brûlante pour le parti des ésitériophiles anonymes mais j'imagine que ce n'est pas à ça que vous faites référence ?"

Tout en babillant, je sème des fuda, marchant à reculons entre les casiers. Chimaru me fait un sourire que je qualifierais de "douloureux" – pour moi.

"C'est moi qui t'ai appelé pour que tu la vires de l'équipe puisque cette loque de Chimaru en est incapable. Et toi, tu te la tapes…"

"Ha non, non. Mademoiselle et moi n'avons pas encore eu l'infini plaisir de nous essayer au trampoline, dans la mesure où vous nous avez interrompus. On était bien partis ceci dit…A qui ai-je l'honneur ?"

Derrière son capitaine d'équipe, Koneko suit aussi, l'air inquiet. Elle se baisse pour attraper un ballon et il n'en faut pas plus pour que le colosse se retourne et abatte ses poings sur elle, la jetant au sol.

"Touche à rien, salope ! Je vais te casser, moi ! Te faire payer !"

Bon, paye ta stratégie d'attaque surprise…Même si Koneko est sûrement solide, j'ai aucune envie qu'il lui casse un truc. Et puis j'aime pas qu'on traite ma petite amie – fut-elle d'un soir – de salope. Dégainant ma dague de cérémonie, je feinte pour la lui coller sous la gorge mais il m'attrape en plein mouvement, me saisissant par le poignet avant de me plaquer contre un casier.

"J'ai eu le temps de me renseigner…Et j'ai fini par découvrir ce que Chimaru et l'entraîneur cachaient soigneusement, qu'ils avaient une oni dans l'équipe. Même après qu'elle m'ait brisé le poignet et qu'elle ait ruiné ma carrière. Une saison d'absence, c'est presque une vie…Alors j'ai étudié la magie et je suis tombé sur le nom des "Kondo". Mais j'ai bien fait de prévoir une solution de secours, je vois."

Il serre ma main, jusqu'à me faire grimacer mais je ne lâche pas la dague malgré tout.

"C'est Chimaru et l'autre garce d'oni qui tomberont pour le meurtre de l'entraîneur…Et le tien ? Je me demande, Kondo, un onmyôji ça peut travailler, sans mains ?"

Et il écrase mes doigts, jusqu'à ce que je les sente céder, pris de spasmes et que je hurle de douleur.

"Ouais…C'est une agonie, hein, Kondo ? Pour un oni, c'est juste un faux mouvement mais pour nous, c'est la fin de la route."

Mon pouce cède à son tour… mais j'ai encore la force de lui balancer un solide coup de pied dans les parties, l'obligeant à me lâcher. Je roule au sol, la main pressée contre ma poitrine, haletant sous les ondes de douleur intolérables qui me remontent du poignet. Chimaru – du moins celui qui le possède – se relève en grondant.

"Je vais te casser en deux."

Et le pire c'est que ça ne lui demandera sans doute pas un gros effort…Mais c'est sans compter sur Koneko, qui, derrière lui, soulève…

Un banc.

Un BANC ???

Elle l'abat sur le crâne de Chimaru, qui s'écroule aussitôt. L'oni se précipite sur moi.

"Satoru !! Satoru !!"

"J'avais dit…qu'il fallait pas lui taper dessus !"

"Hé ! Tu t'es pas gêné, toi ! Comment ça va ?"

"Il m'a cassé plusieurs doigts. C'est qui, ce type à qui tu as flingué le poignet ? Et j'étais censé faire un exorcisme, Koneko ! Pas le regarder se faire démolir ! Il est pas prêt de rejouer ton capitaine d'équipe, ce sera déjà bien s'il est encore vivant !"

"Mais oui. Mes coups il en a déjà ramassé quelques-uns et il est toujours sorti de l'infirmerie assez vite." M'affirme-t-elle avec un grand sourire.

"Ha ? Il prend régulièrement des bancs sur la tête ?"

"Des bancs, des ballons et même un autre joueur, une fois."

Gros silence, au cours duquel, malgré la douleur, j'arrive à dévisager Koneko, hébété. Bon, je peux être rassuré, ça sera pas la femme de ma vie, à moins que je la veuille très courte, ma vie. Finalement, je m'adosse aux casiers en grimaçant.

"Prends mon portable, appelle les flics, faut coincer notre magicien du dimanche avant qu'il s'essaie à la possession sur quelqu'un d'autre. Et ne TRIPOTE pas cette dague, tu vas déclencher une apocalypse !"

"Je pourrais venir te voir à l'hôpital ?"

"Pour m'achever ? Pas la peine, y'a des infirmières pour ça."

"Mais je peux mettre un costume d'infirmière si tu veux. Je te dois encore deux soirs."

Je devais être sacrément frustré pour qu'avec ma main brisée, un mourant, un mort et une oni en train de jouer avec une dague, j'aie encore la capacité de visualiser Koneko en mini-jupe blanche. Et à piquer un fard coupable. Elle m'embrasse en prenant mon portable et en me glissant un "Même sans ta main, on y arrivera."

Je confirme. Une main en moins c'est un tantinet handicapant mais à deux ça n'a rien de rédhibitoire. Et même Koneko avait l'air plutôt contente de sa petite virée hospitalière, me laissant son numéro en me disant que "si un soir je m'embête", elle était toujours partante pour un barbecue coréen. J'ai donc découvert le concept du "sex friend" en même temps que les notions de base. Bon, le médecin a moyennement apprécié qu'on prenne la chambre d'hôpital – payée par l'Etat je le rappelle - pour un love hôtel mais Koneko a su le convaincre de laisser tomber, presque sans rien casser.

Donc désolé pour les langues de pute qui adorent se marrer à bon compte mais il y a quand même peu de mes contemporains qui peuvent dire qu'ils ont joué au docteur avec une oni – excellente joueuse de rugby, de surcroit.

Ça a cependant été de courte durée…

Sans surprise, elle a fini par envoyer un autre joueur au tapis et c'est Chimaru lui-même qui à ma demande, l'a expulsée de l'équipe, avant qu'elle ne tue quelqu'un. Je pense qu'elle nous en veut encore.

Faire le bon choix…celui qui vous fait grincer des dents, vous piétine allégrement la conscience avant de s'étaler dessus de tout son long, mais reste le "bon" choix. Si un jour une petite copine se demande d'où je tiens mon goût pour les lits d'hôpitaux, je lui raconterai peut-être…Avec le temps que j'y passe, mieux vaut que ça soit rattaché à un fantasme, non ?

Ha et pour ceux qui se demande ce qu'est un ésitériophile...Ben vous avez cet outil merveilleux qu'est internet pour chercher.Comme ça, au lieu de zoner sur les blogs des autres, vous pourrez dire que vous vous êtes instruits.

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Source de l'image : paleontour

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