top of page

Enjoy-Pt 2

Mission.

Parc d'attraction.

Photos bizarres.

Le tout potentiellement hanté.

Si vous aviez raté le début, c'est par-là, je vais pas vous faire le résumé des épisodes précédents chaque fois non plus, sortez-vous un peu les...mains des poches.

Reprenons, plutôt.

***

“Tu as la position exacte ?”

“Nahiri m’a envoyé ça, oui, je l’ai déjà donnée au couple infernal.”

Shinzu, assis à l’avant, tourne son énorme tête dans ma direction et grogne alors que je lui envoie un baiser du bout des lèvres. Gekkô tapote sa tablette, l’air dubitatif.

“D’après Google, il n’y a rien à cet endroit.”

“C’est ce qu’on est supposés trouver, rien. Le parc a été détruit.”

Je m’adosse à la banquette avec un sourire en croisant les bras derrière ma nuque.

“Et si c’est le cas, ce sera toujours quatre cent mille d’empochés pour une balade dans la montagne. C’est ce qu’on appelle un job de fond, non ?”

“Deviendrais-tu vénal, Satoru-chan ?” S’enquiert Gekkô en reprenant les photos, qu’il examine.

“Tu vas pas me reprocher de me tenir sous les fenêtres les bras ouverts quand les imbéciles balancent des liasses, pas toi !”

“Je fais partie des imbéciles de l’autre côté de la fenêtre, nuance. Je trouve que tu vas un peu vite en besogne lorsque tu prétends qu’il y a quelque chose d’étrange. L’aspect légèrement “horrifique” de ces clichés ne t’influencerait pas un peu ?”

“C’est pas que les photos. C’est leur propriétaire qui me fait tiquer. Mon entrevue avec lui m’a incité à la méfiance.”

“Explique ?”

Je tire de ma sacoche une autre chemise en carton.

“Okuro Sawada, vingt-huit ans, photographe, un mordu des clichés urbains. Il fait même partie d’un club...Marié depuis deux ans, il a suivi plusieurs formations de photographie et il organise des excursions pour les photographes amateurs. Un taré, quoi. Du moins, c’est ce que Nihari a trouvé sur lui. Merci.”

Se servant un verre à son tour après m’avoir tendu le mien, Gekkô me fixe, attentif.

“Et donc ?”

“Et donc moi, un toqué de la photo qui m’annonce qu’il est “passé à autre chose” depuis son retour d’Hobara, qui n’emporte pas de batterie de secours pour son appareil photo et tombe en rade au beau milieu d’une excursion après un voyage de plusieurs heures ou prend une photo à contre-jour, je trouve ça bizarre. Qui plus est, il m’a affirmé vivre seul, alors que pour l’état civil, il est toujours marié.”

“Et ?”

“Et donc soit Sawada m’a menti, soit son dossier est pourri, soit il s’est passé quelque chose là-bas qui l’a changé et a fait fuir sa femme.”

Je vide mon whisky d’un trait et me passe inconsciemment la langue sur les lèvres en feuilletant l’album que m’a laissé Sawada.

“Et ?”

“Et je trouve curieux qu’il prenne en photo une parfaite inconnue sans être plus choqué que ça de croiser quelqu’un dans un coin comme celui-ci...La zone d’Hobara est sinistrée depuis Fukushima. Qui plus est, il prend en photo des lieux déserts mais me rigole au nez quand je me présente comme exorciste. C’est pas des preuves mais ça sonne faux.”

“Et ?”

Reposant mes photos, je dévisage Gekkô, accoudé à la banquette, en train de me fixer avec un sourire.

“Et quand tu auras fini de te foutre de ma gueule, on pourra bosser ?”

“TU pourras bosser, Satoru-chan. Je ne suis là qu’en accompagnateur. Tu sais que j’aime t’entendre prendre ce petit ton doctoral ? J’ai presque tendance à oublier que tu es un grand garçon, maintenant. Enfin, grand...”

Il baille largement, dévoilant sa longue mâchoire.

“Je me comprends. En tout cas, tu vas bientôt avoir les réponses que tu cherches, nous arrivons.”

Le GPS nous indique Numanishi. Nous sommes en bordure d’une longue barrière métallique derrière laquelle je peux distinguer quelques bâtiments, une colline...Et le nom du parc en lettres massives, fichées dans les buissons.

Quatorze ans depuis la fermeture mais il n’a pas fallu beaucoup plus à la nature pour reprendre possession des lieux, je ne vois rien d’autre que des arbres et nous ne sommes pas vraiment dans un no man’s land, si on excepte la légère brume de fin de matinée.

“Et voilà ton parc...Ou ce qu’il en reste.”

Ce qu’il en reste, c’est le panneau d’entrée taggué vu sur les photos et derrière, la colline, le nom et rien d’autre. Pas de manège, pas de grande roue, pas de fille en train de déambuler. Je fais la moue.

Quelque chose ne colle pas.

Sur les photos, le panneau taggué est exactement dans le même état que celui que j’ai sous les yeux, à la tache de rouille près. En quatorze ans, il se serait plus dégradé que ça. J’avance le long des grilles, les sens aux aguets.

“On croirait voir un chien de chasse qui pense avoir débusqué un lapin. Il n’y a rien, Satoru-chan. Si j’en crois les photos, de là où nous sommes, nous devrions voir les montagnes russes.”

“Je débusque les renards, de préférence. Laisse-moi me concentrer, tu veux ?”

Je suis la route, le long de la barrière...Rien d’autre que ces collines, quelques champs de l’autre côté et le bruit de l’autoroute 4 dans notre dos...Banal et presque décevant. Je suis en bout de voie, dans un cul-de-sac. Soupirant, je fais demi-tour lorsque mon regard capte du mouvement derrière les barrières.

“Hé !”

Je ne me suis pas trompé. Entre deux buissons, j’ai distingué des cheveux noirs très familiers. Lorsque j’appelle, je les vois s’éloigner et j’entends un bruit de pas.

“La fille...Elle est là. Si ce parc a été rasé, moi je suis gogo danseur. Faut trouver un moyen de rentr...”

Un bruit métallique et un crissement horripilant me coupe au milieu de ma phrase. Gekkô a refermé les dents sur la barrière et en arrache un pan entier d’un coup de mâchoire puissant, avant de recracher de petits morceaux et de sortir son mouchoir pour tamponner sa bouche.

“Après toi, Satoru-chan. J’espère qu’il y a vraiment quelque chose derrière.”

“Parce que tu viens de commettre une effraction ?”

“Parce que je n’ai aucune envie de te voir en gogo danseur, surtout.”

***

Je ne suis allé dans un parc d’attractions qu’une seule fois, à Tokyo Disneyland où j’accompagnais Shinkin. Je m’étais senti très vite débordé par l’attaque de ces couleurs épileptiques, les hurlements ravis de ma cousine et des mômes de son âge, les boutiques vomissant des produits moches et inutiles où que je pose les yeux et surtout par ce détestable arrière-goût de carton-pâte. Et ce qui m’avait le plus saoulé, c’était que je m’étais laissé gagner par l’excitation ambiante, cette espèce d’hystérie douce extrêmement létale qui finalement fait de vous un gosse comme les autres. Shinkin n’avait pas besoin de me voir comme ça. Si à l’époque, Disney m’avait malgré tout laissé une légère sensation de malaise malgré une journée plutôt agréable mais épuisante...

...J’ai découvert la même sensation multipliée par dix en pénétrant dans Takakanonuma Greenland, sans que ça n’ait rien à voir avec mon sixième sens.

Je contemple les carcasses rouillées des autos tamponneuses, que Gekkô examine avec intérêt.

“Félicitations, Satoru-chan, tu as le flair toujours aussi aiguisé. Ce parc n’a jamais dû voir un engin de démolition.”

Il s’approche de la cabine du circuit et jette un oeil à l’intérieur.

“On a quitté les lieux précipitamment, regarde.”

Rejoignant Gekkô, je jette également un coup d’oeil par la vitre crasseuse. Il y a un gobelet de café, jauni et partiellement désagrégé.

“On ferme un parc de cette manière quand c’est une histoire de gros sous ?”

“Non. On récupère ce qui peut l’être pour limiter la perte sèche sur le bilan financier de l’entreprise. Certaines pièces de métal, les costumes...On peut même revendre les attractions, c’est ce que font certains parcs.”

Je me glisse à l’intérieur de la cabine et tapote sur les commandes, pensif. Pourquoi quitterait-on sans se retourner un machin de cette envergure ? Rien que le circuit d’auto tamponneuses en contient une petite vingtaine, à jamais figées dans la rouille, les feuilles mortes et l’eau sale qui s’est accumulée. Il y a quelque chose d’aussi glauque dans ce spectacle que celui d’un type éventré qui aurait gardé le sourire. Horrible et fascinant. Je suis certes bien placé pour savoir à quel point la futilité est une chandelle qu’on brûle par les deux bouts mais là...

“Satoru-chan ? Tu sens quelque chose ?”

“A part une espèce de parfum à mi chemin entre le pop-corn chaud et le cadavre en décomposition, rien. On va s’approcher de la grande roue, c’est elle que je suis venu voir.”

Nous nous remettons à marcher, côte-à-côte, poussés par un vent qui souffle en bourrasques, sifflant en traversant les arbres, rythmé par le bruissement des feuilles mortes sur le bitume. Les allées sont encore praticables mais progressivement réduites par l’avancée des mauvaises herbes. Un clown auquel il manque un oeil nous indique la grande roue et je ne peux m’empêcher de fixer ce visage souriant bouffé de rouille. Sa main, supposée montrer la direction, a deux doigts cassés et son sourire s’ouvre sur une épaisse plaque de mousse qui le recouvre progressivement. Une voix explose alors au-dessus de ma tête.

“Prière de ne pas jeter de déchets dans les allées. Nous vous souhaitons une excellente journée à Takakanonuma Greenland. Amusez-vous bien !”

“PUTAIN !!!!”

J’ai fait un bond de plusieurs mètres, moins deux je sautais dans les bras de Gekkô...Même lui paraît saisi. Il penche la tête sur le côté.

“Le parc est encore alimenté ?”

“M’étonnerait.” Je grogne en respirant à fond pour calmer mon coeur qui bat la chamade avant d’aviser le haut-parleur fautif. Je me penche pour ramasser une pierre et tire.

“Saloperie !”

“Du calme.”

“Ça ne te fait rien, toi ce genre de décor ?”

“Je suis partagé, je dirais...”

“Entre ?”

“Ce qui peux encore être revendu...Et toute cette place gâchée par ce genre de loisir idiot. Tu penses que tu pourras un jour m’expliquer pourquoi votre espèce a besoin de voir aussi grand pour s’amuser ?”

“Sans tuer personne, sûr que c’est plus contraignant.”

Gekkô hausse un sourcil en me dévisageant. Je sais que c’est débile de me passer les nerfs sur lui, il n’en a rien à foutre. Autant gueuler sur un clébard en train de faire sa sieste. Il ne comprend même pas mon malaise...

“Pour déconnecter.” , je soupire “Du boulot, des soucis, des histoires de fric ou de cul qui tournent mal...Pour s’isoler.”

“S’isoler en quittant vos villes pour venir vous entasser dans une fausse ville ? C’est ça ?”

C’est l’échec patent de cette tentative de “déconnecter” qui me fout le noir. Le vent siffle encore et j’avance davantage, distinguant la grande roue au loin. J’accélère le pas mais fur et à mesure que je la vois se rapprocher, elle semble de plus en plus noyée par la brume et je ralentis, baissant les yeux pour constater que le brouillard enveloppe à présent le parc. J’y vois pas à plus d’un mètre devant moi.

“Gekkô ?”

Il y a du mouvement sur ma gauche et je reprends ma marche.

“Rah, fallait que ça se lève maintenant...Je dois avoir une torche, attends.”

Il se rapproche pendant que je fouille dans ma sacoche, sortant une lampe, que je tends au jugé.

“Tiens-moi ça. Par sécurité je vais prendre ma dague de....”

J’ai perçu le mouvement au-dessus de ma tête et m'interromps dans ma phrase en relevant la tête. Ce n’est pas Gekkô.

La fille de la photo me fixe, le visage figé sur cette expression sévère qu’elle y arbore. Elle a les yeux écarquillés.

“Partez.Tout de suite. Partez.”

“Qu...”

“Vous ne sortirez plus d’ici.”

“Satoru-chan !”

Par réflexe, mes yeux quittent la fille pour chercher d’où vient la voix de Gekkô. Et lorsqu’ils reviennent dans leur position initiale, elle s’est envolée.

“Satoru-chan ? Nous avons un problème, je crois bien.”

“Je...J’arrive.”

Me guidant au son de sa voix, je le rejoins, passant à nouveau devant les autos tamponneuses ou du moins ce que j’en distingue dans cette foutue purée de pois. Pourquoi me fait-il faire demi-tour ?

La réponse est là, sous mes yeux : le trou par où nous sommes entrés n’existe plus. La barrière non plus d’ailleurs. Il n’y a plus que le brouillard, impénétrable. Gekkô guette ma réaction. Après quelques secondes d’hésitation, j’allume ma torche.

“On y va. Je veux vérifier quelque chose.”

Il m’emboîte le pas sans discuter alors que nous nous enfonçons dans la brume, distinguant à peine l’herbe sous nos pieds. Même le souffle du vent s’est tu, il n’y a plus un bruit, juste ce silence qui vous pèse sur les tympans au moins autant que le brouhaha. On devrait entendre l’autoroute...Finalement, j’attrape un reflet avec ma lampe et me dirige droit dessus.

Sans surprise, je reconnais la baraque des autos tamponneuses, ses étoiles blanches tachées de rouille, encadrée par les buissons. Gekkô grogne.

“Notre monde est tout petit.”

“Il semblerait. On est bloqués.”

“J’avais compris, Satoru-chan. Que proposes-tu ?”

“D’aller voir cette foutue grande roue et d’espérer que notre hôte se sent juste très très seul. J’ai rencontré quelqu’un qui m’a aimablement suggéré de foutre le camp...”

Dirigeant la lampe torche sur l’allée, je note alors des traces rouges sur le bitume. Gekkô s’approche et son nez se plisse, les ailes frémissant.

“Du sang. Encore frais.”

“Ça m’étonnerait qu’il le soit vraiment...Soit on veut nous foutre la trouille, soit on cherche à nous aiguiller...Peut-être les deux. Il y a pas que les rêves qui soient morts ici...” Je souffle en avançant d’un pas rapide en direction de la silhouette de la grande roue. Les haut-parleurs à proximité diffusent une sorte de friture, entrecoupée d’une voix d’hôtesse nous demandant de “nous amuser”. Je me sens oppressé...Le clown énucléé est toujours là, souriant dans sa décrépitude, brandissant aimablement sa main amputée. Gekkô me presse une main sur l’épaule.

“Du calme.”

“Je suis calme.”

“Tu es angoissé comme un môme à qui on a détruit ses jouets. Respire.”

Il me jette un regard entendu.

“Tu n’es plus un gamin, que je sache, tu sais ce qu’il y a derrière le carton-pâte, hmmm ?”

Joignant le geste à la parole, il saisit la tête du clown et referme les doigts dessus, jusqu’à ce que le plastique se fendille et qu’il arrache une bonne partie de la figure, époussetant ensuite ses manches.

“Tu vois ? Du faux, rien d’autre. Reste concentré.”

Un grincement se fait alors entendre au-dessus de notre tête et je lève le faisceau de la lampe torche. Le bateau à bascule, à une centaine de mètres, a repris son mouvement de balancier, fauchant l’air lourdement, émettant des craquements chaque fois qu’il retombe.

“Il y a quelqu’un dedans.”

“Non, Satoru-chan, personne.”

“Et moi je te dis que si, bordel !” Je lui rétorque en le poussant avant de m’approcher au pas de course de l’attraction, jusqu’à atteindre la guérite, dont les vitres sales ne me permettent pas de distinguer s’il y a quelqu’un - ou quelque chose à l’intérieur. Sur la défensive, j’essaie de distinguer la silhouette sur le bateau, suivant le mouvement avec ma torche...Mais il va trop vite.

“Ha mais merde à la fin !!”

Je saisis ma dague de cérémonie au fond de ma sacoche et la retourne, brisant la vitre de la guérite avant de glisser le bras à l’intérieur pour l’ouvrir. Rien ni personne, bien entendu. Mais le tableau de commande est allumé. J’écrase le bouton d’arrêt d’urgence et regarde la silhouette du bateau s’immobiliser, retombant une dernière fois, alors que la musique éraillée s'interrompt, remplacée par cette voix d’hôtesse :

“Arrêt d’urgence. Veuillez descendre de l’attraction. La traversée va reprendre. Arrêt d’urgence...”

Sortant de la guérite, je cours vers le bateau.

Vide.

On se fout de moi.

“Arrêt d’urgence. Veuillez descendre de l’attraction. La traversée va reprendre. Arrêt d’urgence...La traversée peut reprendre. Arrêt ici. Arrêt maintenant. La traversée...”

“TA GUEULE !” Je hurle un bon coup, juste pour entendre ma voix, pour couvrir celle de ce foutu parc. Je sursaute en sentant une main qui se presse sur ma bouche.

“Cesse de hurler. Tu es fatiguant, à la longue...Et tu te fatigues, aussi.”

Je respire à fond. Mais qu’est-ce que j’ai ? Tout mon corps est douloureux de crampes, malgré la température, j’ai froid. Gekkô retire sa veste et me la pose sur les épaules.

“Ne me la salis pas ou je t’en fais racheter une avec ton argent de poche. Tu es glacé.” Commente-t-il en passant les doigts sur mon front, humide de sueur.

“Je me sens mal.”

“Non. Tu LE sens mal. C’est ton sixième sens qui te met dans cet état...Nous n’aurions pas dû venir ici. Ils ne nous laisseront pas ressortir.”

Je rigole, nerveusement, avant de sortir mes fuda, que je lisse du bout des doigts.

“Une fois que je leur aurai mis leur compte, on verra. Je suis là pour ça, tu te rappelles ?”

Est-ce que c’est juste l’aura et les ombres du parc ? Est-ce que je sens juste la panique, primitive, qui commence à distordre mes sens ? Est-ce que je rêve ? Gekkô a l’air...inquiet.

Non, non, non. Gekkô ne peut pas être inquiet, il ne sait même pas ce que c’est. La grande roue. Rester concentré.

“Takakanonuma Greenland vous souhaite une très bonne journée. Amusez-vous bien ! Nous vous souhaitons une très bonne journée !”

Lorsque nous arrivons enfin au pied de la grande roue - où l’allée a complètement disparu, remplacée par les mauvaises herbes - les haut-parleurs alternent la ritournelle de l’hôtesse et les sons étouffés, la friture, s’interrompant pour laisser planer le silence avant de reprendre. Je m’approche d’une des cabines de la grande roue. les sièges sont envahis de feuilles mortes, de terre et de poussière. Plissant les yeux, je m’accroupis pour examiner le sol. Il est sale et rouillé, comme le reste...Mais je vois aussi des taches plus sombres. Pourquoi ai-je cette impression d’urgence, tout à coup ? J’ai jamais été l’incarnation du courage mais je ressens l’envie de me mettre à courir, de m’éloigner de ce machin le plus vite possible.

“Ils ne vous laisseront pas partir.”

Je relève les yeux. La fille de la photo est là, assise dans la cabine.

“Vous pourriez m’en dire plus ?”

D’un geste de la main, je fais signe à Gekkô de ne pas broncher. Les kitsune sont des repoussoirs à esprits, il va me la faire fuir s’il s’en mêle.

“Qu’est-ce qui s’est passé ici ? Quelqu’un est mort...vous ? Un proche ? Je peux l’aider.”

Elle me fixe quelques secondes et me sourit. Ses dents sont colorées, comme des bonbons.

“Aidez-vous vous-même, pour commencer. La traversée commence, attachez-vous bien. Sinon vous allez tomber...”

Et elle me projette sa main dans le visage, m’aveuglant l’espace d’une seconde et me faisant lâcher ma torche, qui s’écrase au sol dans un bruit de verre brisé.

“MERDE !!”

Hors d’usage, bien sûr, j’ai beau essayer de la rallumer, l’ampoule est en miette, elle est inutilisable.. Gekkô me pousse alors à l’intérieur de la cabine, à nouveau vide.

“Qu’est-ce que tu fiches ?”

“On veut visiblement nous proposer un tour. J’accepte l’invitation, voilà tout. Assieds-toi.”

Je recule, aucune envie de monter dans ce truc. Soupirant, Gekkô m’attrape par le revers de mon tee-shirt et m’installe de force sur un des sièges, me collant le cul dans un tas de feuilles mortes détrempées, fleurant bon la chlorophylle en décomposition. La porte se ferme et un grincement retentit au-dessus de notre tête, avant que la cabine ne s’élève. J’inspire et expire profondément. Je dois garder les idées claires, écouter la voix de ces “autres”. Quand bien même ils seraient agressifs - et j’ai toujours pas de preuve qu’ils le sont - ça n’empêche pas qu’ils cherchent à me dire quelque chose. Je ferme les yeux...et ouvre mon esprit.

Lorsqu’on se “connecte” à un lieu troublé, c’est toujours une sensation dérangeante, celle d’entrer dans une eau glacée avec la certitude d’y trouver un cadavre, celle de s’agenouiller, de tâter la vase, à la recherche de la main décharnée de ce cadavre. On ne s’attend pas nécessairement à ce qu’on vous foute la tête sous l’eau.

La cabine s’immobilise brusquement et j’entends de nouveaux grincements...Avant de sentir mon estomac sauter brusquement, mes organes internes remonter d’un seul coup et le vent me fouetter le visage.

La sensation de chute.

La cabine vient de se détacher.

Je rouvre brutalement les yeux, juste au moment du choc, alors que la structure en métal explose la vitre comme une feuille de papier et me heurte, me traversant de part en part.

A SUIVRE...

_____________________________________

Source de l'image : Photographe inconnu

Mots-clés :

Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags
Retrouvez-nous
  • Facebook Basic Square
bottom of page