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Quand je parle de têtes à claques...


Trois jours calmes, c'est rare, c'est aussi pour ça que je reviens poster ici assez rapidement. Je vais en profiter pour ressortir un petit coup de gueule (vous vous en doutez, j'en ai plein mes cartons des envies de coup de gueule) contre ses tâcherons avides et décérébrés, j'ai nommé les promoteurs immobiliers. Vous savez, ceux qui en regardant un beau paysage essaient d'évaluer combien ça leur rapporterait de le foutre en l'air pour y caser des cadres et autres business man ? Ou qui se disent que vraiment, ce temple, c'est d'un kitsh...histoire ? Culture ? Bah, ça ne sert plus à rien, c'est pas vendeur ! Sans être dans l'immobilier, je crois quand même que s'interroger sur le potentiel voisinage d'un yôkai ou d'un fantôme quand on construit n'importe où peut se révéler préférable pour leurs affaires à ces messieurs...(j'ai hésité sur l'emploi d'un terme plus vulgaire mais un maître ne jure pas. Non.Ou pas souvent.) *** En général, les maisons en construction, c'est plutôt le genre d'endroit où je peux souffler, dénuée de toute aura immonde. Mais bon, si c'était le cas pour celle dont je vais parler, on ne m'aurait pas fait venir en catastrophe à presque huit heures du soir. Les heures supp' dans mon boulot, c'est un concept plutôt abstrait, sauf si on raisonne en temps de sommeil. Je ne suis pas venu seul, mon "employeur" m'a accompagné sur les lieux, ce qui promet d'être marrant quand l'employeur est Kanata. Je ne l'ai pas présenté c'est l'occasion : Kanata est mon frère aîné, de neuf ans. Lui et moi n'avons pas la moindre chose en commun, de nos idéaux à nos vies quotidiennes. Son principal avantage c'est d'être totalement banal et son tort de ne pas franchement m'apprécier. Ha tiens, nous avons ça en commun, en fait. Au moment où je m'agenouille pour examiner l'emplacement du cadavre, il me poursuit avec un casque à la main en arguant que je dois absolument le mettre et que c'est "la procédure". "Ca ne lui a pas tellement servi, à ton ouvrier, cette fameuse procédure." Je lui réplique tout de même en l'entendant respirer à fond (peut-être pour ne pas m'incruster le casque dans le crâne). J'étais déjà d'assez mauvaise humeur après une courte discussion - pour ne pas dire une sacrée engueulade - avec deux flics bornés chargés de conserver intact la scène de crime . Ils avaient capitulé lorsque je leur avais collé mon autorisation gouvernementale sous le nez, mon carnet personnel d'autographes de toutes les pontes politiques et administratives japonaises, qui me donnait grosso modo l'autorisation d'entrer dans la préfecture de police, de piquer son café-crème au surintendant et de lui demander où il range le sucre en prime (Je précise comme ça que si je le sais, c'est parce que j'ai testé) Un des flics reste avec nous, et à son coup d'œil inquisiteur je devine qu'il n'a pas envie que je foute mes paluches partout. Faut dire, j'ai pas tellement la dégaine d'un légiste. Kanata, en revanche, droit dans ses mocassins à pompon vernis, c'est la caricature de l'agent immobilier, qui dégouline littéralement à l'idée de devoir annoncer à ses clients qu'un cadavre traîne dans leur future home sweet home. En m'appelant , il était légèrement borderline le frangin et entre ses montées dans les aigues j'avais saisi le principal : le peintre en bâtiment avait apparemment fait une mauvaise rencontre dans une maison en cours de construction. Même moi je dois reconnaître que ça n'est pas une pub terrible, sauf si on aime le sensationnel. "Le corps était là. Rien n'a été touché." M'indique le policier et je comprends instantanément pourquoi Kanata a flairé le coup foireux : aucune trace de sang ou de lutte quand il y a un mort, ça peut se produire. Lorsque la tête est détachée du corps et impossible à retrouver, ça paraît assez difficile en revanche. Quand la ballistique et la physique baissent les bras et préfèrent s'en foutre, c'est là que j'interviens et pour le plus grand déplaisir des pragmatiques. "Il me faudrait de l'eau s'il y a." Kanata échange un regard avec le policier...bon, mon frère n'a rien compris. Je fixe le flic avec insistance en ajoutant que c'est pour ne pas laisser mes empreintes partout, ça pourrait énerver son supérieur. Après moult reniflements et essais de moues d'intimidation qui ne me font pas le moindre effet, il consent à sortir du salon pour satisfaire ma demande. Il croyait quoi ? J'ai eu le visage pressé assez près des yôkais pour rouler des pelles à la moitié d'entre eux, les numéros de grimace, j'ai passé l'âge. Mon frère, toujours aussi largué ne voit pas bien pourquoi j'ai besoin d'eau. "Par ce que toi derrière moi quand j'incante, c'est déjà pas top pour se concentrer, alors j'évacue un peu le public. Ferme la porte." La dernière fois qu'un zélé fonctionnaire a cru bon me demander ce que j'étais en train de foutre, il a fini incrusté dans le mur. Un réflexe malheureux, j'étais en train d'essayer de faire sortir un yôkai de la chambre d'un nourrisson, ça m'avait rendu légèrement nerveux. Il me faut moins de quelques secondes pour détecter l'aura lourde, tenace et poisseuse qui règne, le genre qui me fait sonner les oreilles, l'équivalent pour mes sens d'onmyôji d'ongles sur un tableau noir. Pas un démon, pas vraiment un yôkai non plus, c'est quelque chose de plus...intense, comme si j'étais encerclé. Pour vous donner une idée de ce genre de séance, elle consiste à plonger dans la main dans un seau plein d'une substance douteuse et de déterminer dans quoi vous êtes en train d'agiter vos doigts. "Jackpot. Il y a un jardin ici ?" "A l'arrière, oui ?" C'est en me relevant que je ressens comme une douleur au niveau de la gorge, fugitive mais suffisante pour que je me donne une claque mentale. "Satoru ?" "Le policier !!!" Comme quoi on peut être l'élite spirituelle du japon et être parfois très con. J'ai laissé un type s'aventurer dans une maison assez peu clean pour qu'on se sente obligé de choisir l'artillerie ésotérique lourde. Et ce type vient sans doute de payer pour ma connerie. J'ai cru - à tort- que mon aura dissuaderait le truc planqué ici de montrer le bout de son nez. Je sors en trombe du salon et bute sur un cadavre moins de deux mètres plus loin, laissant Kanata me rentrer dedans avant de perdre ses dernières couleurs. "Kami..." "Fous la paix aux dieux et indique-moi le jardin avant qu'il ne se fasse la malle !" "Il ???" "Le kubikajiri!" Je le rattrape dans le jardin comme prévu, vêtu d'une espèce de kimono loqueteux, penché en avant et émettant des caquètements. En tout cas sacrément concentré sur ce qu'il a entre les mains, pour que mon arrivée ne l'inquiète même pas. Mollo Satoru...Je trouve les centimètres au-dessus de mes épaules pas si superflus et j'ai plutôt apprécié de les garder. "Je peux vous aider ?" Le fantôme tressaille et se redresse. Il a le visage bleu et tuméfié de Yoshi, le peintre qu'il a décapité la veille. Je lève les deux mains et le laisse m'examiner. "Oui, je peux sûrement vous aider." Il se tourne totalement vers moi et je vois ce qu'il tient et qui semblait captiver son attention : la tête de l'agent de police. "Vous risquez de la chercher longtemps, un coup de main ne serait pas de trop si je ne m'abuse." J'ajoute, toujours sans bouger. "On vous a dérangé, c'est le minimum que je puisse faire." Il hésite, faisant claquer sa bouche à plusieurs reprises, puis souris, dévoilant des dents noires et effilées, un sourire qui semble lui ouvrir la moitié du visage, sa façon à lui d'approuver. Toujours sans gestes brusques, je place mes mains pour incanter. "Om...sowaka...Om...sowaha..." Il y a comme un frémissement dans l'herbe autour de mes pieds, une bourrasque qui va en s'amplifiant. Si vous vous interrogez parfois sur cette soudaine sensation de froid, cette espèce de courant d'air alors qu'il n'y a pas un souffle de vent, pariez sur un fantôme, vous êtes à peu près certain que c'est le cas. Et si vous avez du mal à rester en vie, c'est qu'à priori on est loin de l'esprit farceur. Le kubikajiri me fixe toujours, penchant sa tête "empruntée" sur le côté, laquelle se détache et tombe au sol. A la place, se reforme lentement un nouveau visage, un peu plus maigre et nanti de grands yeux noirs, d'une bouche à proportion humaine, qui me sourit. Je rouvre les yeux et le salue. "Vous voyez, c'est plus simple ainsi." Derrière moi, mon frère sort à son tour et dois se demander ce que je fous à faire des politesses à la tête coupée de son employé et d'un policier, la seule chose qu'il est en mesure de voir. Le fantôme me salue à son tour, bien bas et se disperse au gré du vent, lequel s'apaise dès qu'il a totalement disparu. "C'est fini." J'ai les mains qui tremblent légèrement et mes jambes sont cotonneuses alors que je m'étire lentement pour décharger la tension de mes muscles, comme après chaque exorcisme, une sensation désagréable que je n'ai jamais réussi à totalement maîtriser.

"Qu'est-ce que tu as fait ?" "Je lui ai donné un petit coup de pouce. Les kubikajiri ont la mauvaise habitude de fouiller les tombes des morts pour essayer les têtes, à la recherche de la leur. Je lui ai fait gagner du temps ni plus ni moins." "Des morts...alors pourquoi il n'était pas au cimetière ?" "Il y était." Qu'est-ce qu'il croit ? Qu'on exproprie un fantôme en lui demandant obligemment s'il ne peut pas aller hanter un peu plus loin, rapport au complexe immobilier qui doit remplacer toutes ces tombes usagées et franchement de mauvais goût ? "C'est vous qui y avait amené des vivants. Je te conseille d'aller voir tes supérieurs et d'user de ton minimum syndical de persuasion pour qu'ils foutent tout ce bazar en l'air. J'aimerais pas devoir revenir au prochain ouvrier qui se fera buter. Et sur ce, je vais manger un truc avant de tourner de l'oeil." Enfonçant les mains dans mes poches, je veux faire demi-tour mais Kanata m'arrête. "Mais...tu l'as exorcisé, non, ce kaji...kaja..." "Lui oui. Et selon toi, pas d'autre candidat ?" Nos regards tombent sur les deux têtes décapitées, dans l'herbe et cette fois Kanata paraît comprendre, à en juger par son expression. Je lui tapote l'épaule avec un sourire. "C'était sympa de se voir en tout cas, oni-san. On devrait faire ça plus souvent." Puis je remonte le couloir en lui souhaitant une excellente journée. Dans ces moment-là, je relativise les petits problèmes de voisinage, c'est plutôt positif, quand on y réfléchit.

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