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La minute épistolaire


Ces derniers jours, j'ai alterné les réveils en nage (mes cauchemars sont venus s'enquérir de ma santé, c'est bien aimable à eux) et les douches glacées (il faut savoir que s'immerger dans l'eau froide avant un gros travail d'exorcisme est un rituel obligatoire),je me suis bien sûr débrouillé pour attraper la mort. En plein mois de Juillet. Et pour être en phase avec moi, il flotte et c'est parti pour durer, avec un petit 30°c à Tokyo... Seul point positif : pas question de bosser quand on vide trois paquets de mouchoirs à l'heure, qu'on a l'air d'avoir bu et que le médecin vous regarde comme si vous étiez un candidat intéressant au bac de formol. J'agonise donc dignement dans mon plumard depuis dimanche mais comme je ne suis toujours pas mort, les poumons collés ensemble, j'ai réussi à me traîner jusqu'à l'ordinateur pour poster ici (en fait je suis un seigneur, j'utilise les dernières heures qui me restent à vivre pour vous raconter des conneries). Forcément, ça ne pouvait pas durer, on allait pas me foutre la paix aussi facilement. Entre deux cachets et quinte de toux tuberculeuse, j'ai quand même vérifié que je n'avais pas reçu de mails urgents, auquel je me serais empressé de répondre, sourire aux lèvres qu'étant très occupé à crever sous mes draps, je ne risquais pas de venir exorciser la petite fille à deux têtes planquée dans le grenier d'une maison pourrie en banlieue. Et bingo, ça n'a pas loupé. Je distingue deux types de mail : ceux du gouvernement, sobres, protocolaires. Allez là. Faites ça. Voyez celui-là. Ils appellent ça pompeusement des "ordres de mission" qui sont tous naturellement prioritaires, urgents et ne souffrent d'aucun retard de ma part comme stipulé dans ces petites phrases piquantes qui me rappellent que je suis un fonctionnaire de l'état japonais. J'adore prendre des coups de pied aux fesses par lettre électronique interposée, c'est toujours plus subtil...Et puis il y a le commun des mortels qui parviennent à dégotter mon adresse je ne sais comment et me prennent pour madame soleil. De la plomberie bouchée aux quatre kilos de trop de la petite dernière, ils semblent persuadés que tout le tort en revient aux esprits, yôkais ou fantômes revanchards. Je vais donc rétablir la vérité : A l'heure actuelle, les yôkais ont des ambitions un poil plus élaborées. Si, si. Récupérer le territoire sur lequel nous nous sommes complaisamment étalés, par exemple. Et pour ça, croyez-moi, ils peuvent faire beaucoup mieux que de faire exploser la tuyauterie de votre salle de bains. J'ai donc reçu un superbe spécimen de mail type éploré dans ma boîte, dont le sujet est un URGENT en majuscules suivi d'une procession de points d'exclamation. Une brave dame qui habite à Shinjuku et m'affirme que son fils est possédé, qu'elle ne le reconnaît plus et qu'il faut impérativement que je fasse quelque chose avant qu'il ne "soit trop tard". C'est en lisant le descriptif du comportement "possédé" en question que j'ai compris la panique de cette honorable mère de famille : il faut avouer, même quand on a pas envie d'avoir des petits-enfants, que son fils de dix-huit ans qui envoie des lettres enflammées (le terme politiquement correct pour ne pas dire pornographiques) à son professeur d'anglais, lequel fête approximativement son trente cinquième anniversaire et présente la particularité amusante d'être de sexe masculin... Si vous vous demandez intuitivement pourquoi elle a fait appel à un exorciste plutôt qu'à la brigade des mœurs je vous répondrais que je n'en sais foutrement rien. Mais entre la fièvre et mon nez bouché, j'ai résumé la chose comme "ménagère quarante ans découvre que son fils n'aime pas les filles. Qu'est-ce que je viens foutre là-dedans, moi ?". Oui, les sinus encombrés poussent le cerveau à faire des raccourcis. Je vous reproduis donc ma réponse in extenso (sans les reniflements, les jurons pour cause de mouchoirs traînant sur le clavier et les éternuements) Madame, J'ai pris la peine de lire votre mail d'un bout à l'autre et comme vous pouvez le voir, je vous réponds immédiatement. Tout d'abord vous avez de la chance, je suis actuellement en train de mourir étouffé sous des centaines de morceaux de mouchoirs et je me saoule au sirop, je suis donc absolument incapable de devenir grossier ou encore de me rendre à votre domicile pour avoir le plaisir de vous exprimer ma pensée profonde en face-à-face. Ceci dit, étant sensible à la détresse de mon prochain, je ne peux que vous conseiller de payer des préservatifs à votre fils plutôt qu'un exorciste. Cela représentera un budget plus restreint et je parierais sur plus d'efficacité. Si vous vous trouvez réellement démunie, je me ferais une joie de venir en offrir à votre fils. Pour vous, je conseille une thérapie ou éventuellement de tenter d'enfanter une fois de plus, pour espérer avoir un jour des petits-enfants. J'espère, chère madame, vous avoir été de quelques secours et vous prierez de ne pas passer mon adresse mail à toutes les amis de vos séances hebdomadaires de gymnastique. Je serais chagriné, une fois guéri de trouver des mails du même tonneau que le vôtre, pour des problèmes qui relèvent de la compétence d'un sexologue, d'un plombier, d'un zoologue, d'un ébéniste ou d'un joueur de koto daltonien. Veuillez agréer madame l'expression de ma compassion la plus hypocrite. S. Kondo Et j'ai ajouté à l'attention du fils précoce : PS : si comme je le pense tu espionnes la boîte mail de ta mère, laisse-moi te donner ce conseil en plus. Choisis-les moins vieux. Amicalement. Heureusement, pas d'autres mails me relatant les problèmes existentiels d'un business man intimement convaincu d'avoir épousé un fantôme (difficile de s'en apercevoir avant la nuit de noces, visiblement) ou d'une étudiante persuadée d'avoir raté son examen de sidérurgie appliquée à cause d'une malédiction lancée par son professeur (authentique, j'en ris encore). Je crois qu'en France on appelle ça "faire le samu social" et chez moi c'est mieux qu'une vocation... Et sur ces fielleuses paroles, je retourne me coucher, ma tête tombe toute seule sur le clavier. Normalement je devrais être remis d'ici une petite semaine et je vous parlerais d'un autre mail que j'ai reçu, pas tout à fait du même acabit, si on ne décide pas d'incinérer mon cadavre pour éviter toute contamination. Bonne semaine à tous et à toutes, donc.

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