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Sale temps pour les mélomanes


On me faisait remarquer précédemment que je devais être payé au lance-pierre pour vivre dans un 15m2 (Bon, niveau salaire, il y a parfois un peu de ça mais ce n'est pas le sujet) et j'ai tout de suite écarté la méprise avec cette vérité qui n'a rien d'un préjugé : à Tokyo on vit les uns sur les autres. Et à moins d'être un fervent adepte de partouses (que je ne suis pas du tout, mais alors absolument pas), ça a parfois tendance à rendre certains japonais...nerveux, disons. Illustrons le propos : à côté mon luxueux une pièce, j'ai un voisin positivement charmant. Il ne se désolidarise de son bureau et de son ordinateur que pour retrouver la même osmose dans le bâtiment de son employeur. Mon état de "délabrement physique et moral" (je cite) le touche énormément semble-t-il et il ne comprend pas que je me laisse bouffer par le chômage. Oui, pour lui je suis juste chômeur : vu le pedigree de l'animal, je ne me suis pas senti le courage de lui expliquer que je faisais simplement animateur dans une colonie de vacances pour fantômes et yôkai. Je pense que ça aurait un tantinet perturbé le brave homme. Bref, il ne se passe pas un jour sans qu'il vienne me demander de lui raconter ma vie : si j'ai retrouvé du boulot, si j'ai arrêté de manger déséquilibré (j'ai été pris en flagrant délit avec un pot de pâte à tartiner au chocolat et je suis fiché depuis) et si j'ai essayé les dernières vitamines en vogue pour mon problème de fatigue chronique (Si tu dormais pas pendant deux jours parce que tu planques un kitsune, connard, t'aimerais pouvoir dormir sans qu'on vienne te proposer des cachetons !). Récemment, il a trouvé une nouvelle manière de se réveiller le matin : la musique. Tout ce que la pop japonaise et américaine a donné de meilleur y passe, y compris chez moi puisque les murs sont fait en papier crépon (avec un peu de plâtre par-dessus je suppose). Croyez-moi ou pas, Avril Lavigne ou Ayumi Hamasaki qui viennent jouer les réveille-matins, ça a de quoi vous rendre enragé. Je dirais même que ça peut constituer des circonstances atténuantes en cas d'acte de grande cruauté (j'ai sur la question un bon paquet d'idées pour tuer quelqu'un). La première fois je suis allé d'un pas léger toquer à sa porte en lui demandant s'il ne trouverait pas opportun de descendre en-dessous des giga-décibels. Apparemment, il n'a retenu de ma visite que le fait que j'étais en caleçon, les cheveux en bataille et les yeux cernés d'un magnifique bleu céruléen. La seconde fois j'ai tambouriné et la troisième fois, j'ai purement et simplement promis qu'à la prochaine note de "complicated" qui viendrait malmener ma somnolence, il partirait au bureau dans un taxi blanc muni d'une sirène. Il m'a sèchement rétorqué que tout le monde ne pouvait pas être un poids et un marginal comme moi et que j'étais le seul que ça dérangeait. Ô joie. Aujourd'hui, tout est calme, c'est un peu mon "jour de congé", puisque personne n'a apparemment besoin de mes services. Je viens donc tapoter sur le blog, en sortant à intervalles réguliers dans le jardin, le pot de chocolat sur les genoux et un manga pour me détendre (dans les mangas, renvoyer un fantôme d'où il vient c'est rapide, efficace et on s'en sort sans la moindre égratignure...ça me fait fantasmer). "Tout va bien, Hirose-san ?" Je demande à voix haute, alors que j'attaque le second tiers du pot à la grande cuillère. En relevant les yeux de ma lecture, je peux voir derrière la grille mon voisin qui tente pour la troisième fois cette semaine d'ouvrir sa voiture dont l'ouverture centralisée est bloquée. Le dépanneur va finir par prendre ça pour une déclaration...

Il se masse la main et me jette un regard désabusé : "Je vais encore arriver en retard...ce n'est pas ma période." Tu m'étonnes : de ce que j'ai cru comprendre, il a supprimé par erreur les fichiers sur lesquels il travaille actuellement, il a crevé deux fois cette semaine et à en juger par l'odeur quand je passe devant sa porte, il a une fuite d'eau dans son appartement. Je lui adresse un sourire contrit et hausse les épaules, fataliste : "Essayez d'aller au temple, c'est peut-être un signe." "J'y suis déjà allé, trois fois." "Ha, ça arrive..." Je conclus en souriant avant de repartir dans mon manga, la cuillère dans la bouche. Ca arrive d'autant plus quand on a un akashita qui nous suit partout : ce charmant yôkai, qui se présente le plus souvent sous la forme d'un petit nuage noir adore la compagnie des humains. C'est un peu le Lassie japonais, si vous voulez, il n'a qu'un petit défaut : bien qu'il ne soit pas agressif ni nuisible sous quelle que forme que ce soit, il a un peu tendance à apporter la déveine avec lui. C'est totalement indépendant de sa volonté bien sûr et ça reste un petit démon fort attachant (et attaché). L'un d'eux s'est pris d'affection pour mon voisin, qu'il suit partout depuis plus de deux semaines, donc. D'ailleurs, alors qu'Hirose s'apprête à se bousiller la main en forçant sur sa portière, la masse noire sur son épaule bouge un peu, extirpe une tête poilue qui baille à s'en décrocher la mâchoire et darde un œil jaune sur moi. Je lui fais un petit signe de la main et le regarde se rendormir. Satoru Kondo, premier onmyôji du japon, garant de l'équilibre entre les morts et les vivants, les yôkai et les humains: sobre, pur, dévoué à la cause de son gouvernement et de ses contemporains, symbole de la grandeur spirituelle de l'archipel. Mais ça n'exclut pas que je sois rancunier. Et sur ce, je retourne glander et je souhaite aux occidentaux de très bonnes vacances.

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Source de l'image : andilicious

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