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Agent double

Je m'aperçois en me relisant qu'en définitive, ma position paraît assez "simple" : je défends mes contemporains contre les yôkai. Sauf que c'est un peu plus compliqué que ça : si certains se sont intéressés à l'onmyôjitsu (même sur Wikipédia, vous n'êtes pas obligés de lire couramment le japonais ancien pour ça), ils auront peut-être remarqué que ça signifie "voie du yin et du yang". Le yin et le yang, ça ne vous évoque pas une notion d'équilibre ? Je ne suis pas là pour permettre la suprématie aux humains (C'est un but qu'ils poursuivent sans mon aide, du reste) et les yôkai ont un peu trop souvent le mauvais rôle. Pourquoi je parle de ça, tout à coup ? Parce que je suis rentré il y a une heure avec le nom de quelqu'un à qui je vais devoir rappeler toutes ces petites choses. Que j'ai la joue lacérée de griffures. Et qu'une yôkai passablement mécontente m'a fait comprendre que j'avais intérêt à me bouger. *** Trouver une jeune personne paniquée et amochée au fond d'une ruelle, c'est pas ce qu'il y a de mieux pour se remonter le moral. Surtout quand quelqu'un a visiblement joué au couteau avec elle. Surtout quand la jeune personne se trouve être une bakeneko (yôkai félin) qui vous griffe au sang en vous sifflant des injures dans sa langue dès que vous vous approchez. Elle a tout de même fini par se calmer quand j'ai sorti mes fuda pour la soigner (en surface, du moins) et que je l'ai laissée se transformer pour grimper sur mes épaules, histoire que je la ramène chez elle. Les yôkai étaient plutôt mitigés en me voyant arriver dans la cour de leur "respectable établissement" (une maison de crédit près de Shibuya : sorte d'immense baraque de plusieurs étages qui m'évoque davantage un vieil hôtel dont on a réaménagé les chambres en bureau, avec un goût discutable). Et quand j'ai vu qui m'attendait, c'est MOI qui suis devenu mitigé. Cette chère Kokuen. Maîtresse de députée, nettoyeuse à ses heures - je ne parle pas de technicienne de surface - et chef officieux de la caste bakeneko à Tokyo. La petite lui saute dans les bras et Kokuen contemple une de ses oreilles, sectionnée net, sans doute par un cran d'arrêt. Elle relève un regard glacial sur moi. "Si je ne vous savais pas attaché à vos petits tours de magie, Kondo-kun, je serais tentée de croire que c'est vous qui avez fait ça." "Je ne m'en prends pas aux gamines, Kokuen, même quand elles ont deux queues poilues, des griffes et des oreilles." Je rétorque " En fait j'aimerais savoir si un nom te vient à l'esprit...ça a quand même des airs de règlement de compte." Elle me toise du haut de ses dix centimètres de plus, perchée sur ses griffes. "Merci de l'avoir ramenée. Nous allons nous occuper de ça.". Et elle fait mine de me tourner le dos. "Je ne crois pas non. Je crois plutôt que JE vais m'en occuper. Tu te rappelles la règle du jeu, Kokuen ? Pas de règlement de comptes entre yôkai et humain si je n'arbitre pas. A moins que tu ne veuilles une guerre ouverte ?" Je souris et joue négligemment avec mon mala tandis qu'elle se retourne lentement. Son expression n'est pas vraiment méprisante, plutôt... hésitante. Finalement, elle renifle. "Tetsuo Nimura. Un promoteur qui traîne souvent à Roppongi. Il veut récupérer nos clients et notre terrain. Nous nous sommes accrochés il y a une semaine à ce sujet." "Merci pour ta coopération. C'est un plaisir." "Cessez de vous moquer de moi, Kondo-kun. Je vous rappelle que vous n'êtes pas en force, ici." " Si tu m'esquintes, qui va garantir que les humains vous foutent la paix ?" Nouveau silence. Je ne suis pas un médiateur très apprécié...selon les générations, mon clan a plus ou moins réussi à apaiser les rapports avec les yôkai. Mais vu après qui je passe, je peux comprendre que Kokuen me voit davantage comme un plat du jour que comme un allié. Dans ses mains, la bakeneko blessée me fixe en silence, elle aussi. "Vous avez vingt-quatre heures, Kondo-kun." Elle me salue et je fais de même. Kokuen me rend nerveux, contrairement aux apparences, bien plus que Gekkô et sa grande gueule. Je préfère définitivement les renards, ils me laissent davantage de marge de manœuvre. Je suis reparti sur la pointe des pieds, les yeux des bakeneko braqués sur moi. Très efficace, leur communication. Sans même qu'ils ouvrent la bouche, je me suis senti aussi désiré qu'une cellule cancéreuse, ça fait toujours plaisir. Vingt-quatre heures c'est un peu plus de temps qu'il n'en faut pour me renseigner sur le pedigree de ce Nimura mais largement suffisant pour lui expliquer qu'un bakeneko ça n'est pas un punching-ball. En espérant qu'il ne s'imagine pas que j'occupe cette fonction. Ha, un des bakeneko m'a quand même glissé avant que je parte que la petite yôkai que j'ai ramenée se trouve être la sœur cadette de Kokuen. Je comprends qu'elle soit disposée à mettre le quartier à feu et à sang. Mais ça me donne une idée pour calmer l'autre excité de la lame...

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Source de l'image : giantginkgo

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