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Et de l’appétit, surtout...

J’ai eu chaud aux fesses. Littéralement. J’ai pas été très rapide de la cafetière, sur ce coup-là surtout, ça mérite des claques. Heureusement que je me suis réveillé sinon ce cher Ryuichi, le cannibale qui s’est échappé il y a quinze jours, se faisait un double festin. Pour ceux qui ont raté le début, je résume : Ryuichi après s’être fait la malle, m’a laissé un petit mot assorti d’un doigt coupé, m’expliquant qu’il ne désirait plus me bouffer et avait changé de cible...cible qui j’en étais sûr, était Shinkin, ma petite cousine de dix ans, la seule personne pour laquelle j’accepterais de faire tout et n’importe quoi (ce qui est le cas). Donc je vous laisse imaginer le coup de stress que je me suis tapé en imaginant la petite entre les mains d’un cannibale récidiviste. On va dire que j’ai pris dans les 5% de cheveux blanc. Et j’ai surtout dû demander de l’aide à cette saloperie de kyûbi, qui s’en est frotté les pattes. *** Nous approchions de Nara lorsque j’ai enfin réussi à avoir quelqu’un au bout du fil, à savoir cette pauvre Saori, la domestique de maison, qui essuie régulièrement mes coups de rogne quand ma tante ou ma mère l’envoient en première ligne. Entre deux jurons, elle parvient à me donner l’adresse où loge la classe de Shinkin, un petit hôtel non loin du temple Isagawa. Mais arrivé à proximité du temple, Gekkô ordonne qu’on arrête la voiture. “Continue à pieds.” Il me pose un doigt sur la bouche avant que je n’ai eu le temps de protester. “De front avec une voiture aussi peu discrète, il sera alerté. Seul, tu feras un excellent appât pendant que je le prends à revers...enfin peut-être.” “Peut-être ?” Le kyûbi croise négligemment les jambes. “Je n’ai pas encore décidé si je te laissais te démerder ou pas, Satoru-chan. Je vais y réfléchir...mais si tu veux attendre ma réponse, je t’en prie. Il y a un minibar et même de quoi dormir sur la banquette.” J’ai réalisé tardivement que ma cousine risquait de finir dans le ventre de Ryuichi et j’ai dû partir en catastrophe...attendre, c’est précisément ce que je ne peux pas me permettre. Je sors de la voiture et balance à Gekkô : “Je suis le premier onmyôji du Japon. J’ai pas besoin de toi pour venir à bout d’un taré quelconque.” “Hmmm...Et tu es venu à bord de quel véhicule, exactement ?” Alors que je m’apprête à lui claquer la portière à la gueule, Gekkô la retient et me fixe. Sur son front, ses quatre autres paires d’yeux s’entrouvrent. “Et rappelle-toi que tu as déjà sous-estimé le “taré” en question. Tu as toujours des difficultés à...évaluer les choses.” Dévoilant ses deux rangées de dents pointues, il referme la portière en concluant : “Et c’est à moi d’essuyer les plâtres.” La voiture fait demi-tour et s’éloigne, me laissant seul devant Isagawa. Il est seize heures...Normalement à ce moment de la journée, des gremlins de dix ans, ça a faim. Avec un peu de chance, on les a rapatriés à l’hôtel pour les nourrir. Ça tombe bien, un footing après six heures de bagnole, c’est exactement ce qu’il me faut. La réceptionniste me voit débouler dans son établissement, sans même un sac, visiblement nerveux et l’œil mauvais...Elle recule légèrement alors que je me jette quasiment sur son comptoir. “Que...que puis-je pour vous ?” “Le voyage scolaire, venu de Saitama.” “Je...c’est pour ?” “Ils sont là, oui ou non ??” (Satoru Kondo : self-control=0; diplomatie=0;galanterie=0) La fille en face de moi se retranche davantage derrière son comptoir. “Je peux savoir ce que vous leur voulez ?” “Ils vous ont bien laissé un numéro, quelque chose ? Je suis le cousin d’une des gamines, je dois absolument la récupérer.” Je lui balance mon autorisation gouvernementale. “C’est une demande officielle !” (Pipeautage=100) “Récupérer une petite fille...Vous aussi ?” Comment ça “moi aussi” ? J’ai dû changer de couleur car la fille recule encore, non sans attraper mon autorisation, qu’elle examine. Je ne paye pas de mine, mais les tampons au bas du document sont tout ce qu’il y a d’officiel. Du calme, Satoru...C’est peut-être un des domestiques de ma maison de famille, pas nécessairement Ryuichi...Et Shinkin ne suivrait jamais quelqu’un qu’elle ne connaît pas. “Je peux appeler un des instituteurs en charge, si vous voulez.” “Oui...s’il vous plaît.” Je m’oblige à sourire, tout en m’enfonçant les ongles dans la paume. Elle attrape le combiné et compose le numéro. “Oui...Bonjour, c’est la réception de l’hôtel...J’ai là un jeune homme qui souhaite récupérer sa cousine. Il a...oui, sa cousine. Son nom ?” “Kondo Satoru.” “Kondo Satoru. Il paraît pressé, il voudrait savoir si...Il peut monter ? Très bien.” Décollant, le combiné, elle se tourne vers moi. “L’un des instituteurs est dans sa chambre. Il dit avoir reçu un message de votre tante dans la matinée et vous attends. Chambre 67 au deuxième étage.” “Merci.” Mon drame, c’est d’être parfaitement désorganisé. Mon second drame, c’est que ceux qui veulent me faire la peau le sont rarement, surtout s’ils m’ont cerné. Dans son genre, Ryuichi est un pro...et qui cogne fort. Il m’a mis K.O à mon entrée dans la chambre, avant même que je n’ai eu le temps de réaliser que c’était lui. Des fois, je suis vraiment pas rapide. La faute au manque de caféine, je suppose... *** “Hmmmm...” En reprenant mes esprits, je sens qu’on me bassine le visage à l’eau froide. “Ha vous revenez à vous, Kondo-san. J’ai craint de vous avoir vraiment fait mal.” Ryuichi m’essuie le front, d’où coule un peu de sang. Je ne sais pas avec quoi il m’a assommé mais mon médecin va encore m’engueuler. On m’a déplâtré il y a peu et je vais y retourner pour un trauma crânien, cool...encore que vu comme je suis parti, il va bientôt servir de garniture, mon crâne. J’ai les mains attachées par ce qui ressemble à un antivol, sur la tuyauterie de la salle de bains et la lumière me tombe en plein dans la figure. “Vous n’avez pas la tête très solide.” “Ceux qui me connaissent me disent tout le temps qu’elle est dure, pourtant.” Je suis surpris de constater qu’il ne me manque rien. Mais vu l’attirail posé sur le lit, ça ne va pas durer : scie, sachets plastique, pinces coupantes... “Vous avez dévalisé un magasin de bricolage ?” “L’instituteur avait du liquide, j’ai fait quelques emplettes.” Au moins, je sais d’où sort le doigt...Un spasme nerveux me fait tressaillir. Est-ce que Shinkin... “Où sont les gosses ?” “Disparus. Je n’ai eu le temps de m’occuper que des accompagnateurs qui restaient. J’ai tué le premier à son domicile avant le départ...vous avez conservé son doigt ?” Donc il y a quelque part en ville un groupe de mômes de dix ans, probablement terrifiés...pas discret un brin, je m’étonne que Ryuichi ne les retrouve pas. “Ils m’ont filé entre les doigts ce matin. Je suis revenu à l’hôtel pour les attendre.” M’explique-t-il en passant des gants en latex. “ Mais le coup de téléphone de votre tante m’a obligé à changer mes plans. Si elle alertait la police, inutile que je me précipite. Mieux valait vous attendre.” “C’est attentionné, Ryuichi-san...Quelle est la suite du programme, maintenant ?” “Je ne vais pas vous tuer, si c’est votre question.” “Ha non ?” “Non. J’ai réfléchi, vous savez. Et je pense que ce serait très irrespectueux de ma part.” “Pourquoi, vous comptiez me cracher à la gueule en m’éventrant ?” Il se met à rire et pose la scie devant moi. “Toujours la plaisanterie facile, Kondo-san...en toutes circonstances !” “Je voulais faire clown mais exorciste c’était presque pareil et mieux payé. On peut savoir ce que vous foutez avec ce matériel si vous comptez me laisser en vie ? Et les chaînes, c’est pour me faire faire des étirements ?” “Sans vous assassiner froidement, je peux prendre un de vos os. Enfin plusieurs...pour avoir de la réserve, j’espère que vous comprenez.” “Bien sûr. On ne sait jamais, en cas de coup dur...Et vous avez attendu que je me réveille pour procéder ? Histoire que je choisisse le bout que je vous cède ?” “Hé bien moi-même je n’en étais pas sûr. Qu’est-ce qui vous handicaperait le moins ?” “Mon cerveau. Il a jamais servi.” Je grogne en évaluant la solidité de l’antivol. Il est parfaitement enroulé autour de mes poignets et je ne me vois pas vraiment arracher la tuyauterie à la force des épaules. Le cadenas est verrouillé et la clef nulle part en vue. Ryuichi étale du papier journal au sol, autour de moi. “Vous voyez, j’ai pris mes précautions : j’ai vérifié, avec les mains immobilisées de cette façon, vous ne pouvez pas faire d’invocation.” Moi qui me croyait dans la merde...là je fais de l’apnée. Il me semble entendre la petite voix narquoise de Gekkô qui me glisse que je sous-estime trop souvent le danger. L’idée que là, j’apprécierais qu’il se pointe me colle de l’urticaire mais je dois admettre qu’un kyûbi furieux m’aiderait grandement dans la seconde. Ryuichi vérifie sa pince coupante et me fixe, en souriant : “Bon, si vous ne vous décidez pas, je vais le faire pour vous, Kondo-san. Mordez ça.” Il me colle un mouchoir entre les dents. “Je suis désolé mais je n’ai pas de quoi vous anesthésier. Mais j’ai prévu quelques antalgiques si nécessaire, quand j’aurais terminé.” Je sens alors un léger contact contre mes poignets endoloris, qui glisse le long de ma main puis près du cadenas. Et je devine une aura familière qui envahit la chambre. Ne pas bouger...Surtout accaparer l’attention de Ryuichi. Mon regard embrasse la pièce et se braque sur la porte de la chambre, entrouverte. Une oreille exercée -comme la mienne - peut entendre le très léger murmure d’incantations. Merde, Ryuichi a perçu mon mouvement de tête. Il se redresse et se dirige vers la porte. “Mais qu’est-ce que...” Je sens le cadenas qui cède progressivement et force dessus à m’en faire éclater les poignets, grimaçant. Ryuichi a ouvert la porte et saisit brutalement Shinkin par le bras, ce qui désagrège aussitôt le Shiki occupé à ouvrir le cadenas qui me retient attaché. “Eh bien, Kondo-san, je ne serais pas forcé de trop vous prélever, finalement.” Commente-t-il en revenant vers moi pour attraper les pinces coupantes. “Vous pourriez demander à votre cousine de ne pas bouger, je ne peux pas couper proprement sin...AOU !” Technique Shinkin : quand on essaie de la tenir contre son gré, elle mord, de préférence jusqu’au sang. Un dernier coup d’épaule, il se produit un déclic et le cadenas tombe au sol. Ryuichi dégage sa main des mâchoires de ma cousine et se tourne vers moi alors que je me redresse et saisis la chaîne à pleine mains, prenant mon élan pour la lui coller en pleine tronche. Il titube et je lui assène un second coup pour le mettre à terre. J’ai le cœur qui attaque un solo de batterie free-style et je halète, complètement suffoqué d’adrénaline Piétinant allègrement l’autre taré, je me précipite vers Shinkin et la prends contre moi. “Tu n’as rien?” “Non. J’étais venue pour appeler Okâ-san et la dame à l’accueil m’a dit que tu étais là...Les autres sont au temple. Tu m’as dit que c’était le meilleur endroit où se cacher...” “Et tu as bien fait de m’écouter.” Je souffle en lui caressant la tête. Elle n’a pas l’air trop choquée, tant mieux, par ce que moi j’ai eu ma dose d’émotion pour un mois, là. “Oncle Satoru, tu saignes.” Je lui souris. “C’est rien, j’ai pris un coup sur la tête, c’est un petit bobo.” (Petit bobo qui va me valoir un pansement maous et une bonne journée allongé. Mais bon, quitte à me la jouer superman, je suis plus à un mensonge près.) Ryuichi grogne au sol, la gueule en sang et Shinkin s’avance vers lui avant de lui foutre un coup de pied dans les côtes. “On va aller récupérer tes camarades. Moi, je vais appeler l’hôpital pour qu’on prenne livraison de celui-là. Shinkin, arrête !!” Je l’engueule alors qu’elle lui flanque un autre coup de pied. “On cogne pas sur quelqu’un à terre !” Pour couper court, je ramasse le cannibale en le traînant par le col et l’attache là où je me trouvais quelques secondes plus tôt. Shinkin proteste : “Mais c’est un connard !” “Shinkin, ton langage, bordel !!! Et on tape pas gratuitement, combien de fois je t’ai dit que la violence c’était uniquement pour se défendre !” “Vous...me faites mal !” Gémit Ryuichi alors que je bloque ses mains dans la chaîne, que je scelle avec un fuda, faute de pouvoir utiliser le cadenas, explosé par le shiki de ma cousine. “Vous m’avez...cassé le nez ! J’ai besoin de vos os, vous devriez me comprendre au lieu de....” Pas de violence gratuite, surtout devant une petite fille de dix ans. Mais bon, je considère pas que tirer une beigne à ce salopard pour qu’il la ferme soit totalement gratuit...Shinkin proteste que “C’est pas juste” tandis que je la traîne hors de la chambre. Voilà, près de trois semaines après sa petite escapade, Ryuichi a réintégré sa chambre douillette de l’unité psychiatrique. Et je me suis fait tuer pour avoir osé 1. Lui défoncer proprement la gueule 2. avoir fait ça devant ma cousine 3. Avoir menacé le directeur de l’asile de lui infliger le même traitement s’il laissait filer son patient encore une fois.4. Avoir fait intervenir Gekkô dans une affaire de sécurité du territoire. Et comme j’ai le crâne en vrac, j’ai une semaine de repos. Une vraie. Mais à la seconde où j’écris, Shinkin dort assise sur mes genoux, souriante. Alors ils peuvent bien aller se faire foutre. Bonne semaine à tous.

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Source de l'image : stevendepolo

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