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Baby on board - 2

Je ne veux pas d’enfants. Jamais. Qu’on me traîne attaché par la langue à un oni furieux dans un champ d’orties si je dois jamais revenir un jour sur ces mots. Avec tout le respect que j’ai pour le masochisme des femmes qui enfantent, la première qui tente avec moi une approche de procréation, je lui casse les deux genoux, sans rire. Oui, j’admets, je suis légèrement irrité. Mais nom de dieu si vous aviez dû comme moi vous promener avec un hachoir à viande sur pattes dans tout Tokyo, vous non plus vous ne voudriez plus entendre parler de “l’épanouissement qu’apporte le statut de parent” et toutes ces conneries dégoulinantes. Je veux bien entendu parler de ce que j’ai trouvé sur mon perron la semaine dernière (vous observerez d’ailleurs qu’il m’a fallu plus de huit jours pour ce post, sinon je crois qu’il y aurait eu une grossièreté à chaque ligne). *** “On ne passe pas.” Si les kitsune et les kyûbi ne fonctionnent pas vraiment en meutes, ils ont tout de même leurs points de rassemblement, surtout à Tokyo. Il existe une sorte de proverbe sur le sujet, que je moderniserai et résumerai en “Là où ça sent le fric, ça sent le renard”. Généralement, ils optent pour des hôtels de luxe, comme le Capitol Hotel à Akasaka, où officiellement, on accueille les business man influents...Officieusement, je peux garantir que les flics adoreraient faire une descente dans les sous-sols ou certains salons “privés”. Mais je suis là pour garantir l’équilibre, pas le respect de la loi (une subtilité qui échappe à certains au gouvernement), donc concrètement qu’ils mettent en place des casinos clandestins n’est pas mon problème. Je suis onmyôji, pas policier. Dans le milieu des yôkai, on fait difficilement mieux comme gros bras que les oni, démons de la terre et du ciel, gros, grands, musculeux, pas jouasses avec les emmerdeurs et présentant l’avantage d’avoir les capacités de stratège d’un mouchoir usagé. C’est donc très logiquement que je me suis heurté à deux d’entre eux quand j’ai voulu gagner le salon privé des kitsune à l’hôtel, avec ma cage improvisée sous le bras. Pour pouvoir transporter sans risque le bébé kitsune, j’avais opté pour le bricolage : tiroir du chevet scellé magiquement et transporté par la poignée (je vous laisse imaginer la classe du truc). Les oni rigolent en le regardant : “Ho c’est l’heure de la promenade ? Félicitations, Kondo, tu nous diras qui est la maman ?” “Le papa, tu veux dire ?” Se marre l’autre avec un petit regard entendu “Avec lui, au moins, y’aura pas besoin de chercher loin...Ça va Kondo, l’accouchement s’est bien passé ?” Tas de cons. Je pose le petit monstre par terre et me fais craquer les articulations. “Je me trouve déjà très sympa de ne pas avoir transformé cette saloperie en moufles quand je l’ai trouvé sur mon perron et de venir jusqu’à Akasaka pour le livrer...Ceci dit, je peux aussi envisager de le lâcher ici et maintenant. Et pour vous, je pense que point de vue reproduction, ça risque de devenir TRES calme.” Il faut aussi savoir que les oni ne sont pas forcément débiles - et ils connaissent bien les kitsune, ils ont donc pris très au sérieux la menace et m’ont ouvert la porte du salon. A l’intérieur, les renards devaient être une vingtaine, autour des tables de jeux ou des machines à sous. A peine ai-je fait deux pas à l’intérieur que tous les regards se braquent vers moi et que les yeux virent au rouge tandis que ça siffle et grogne dans les recoins. Je ne suis - à la base - pas très bien placé pour être élu “personnalité préférée des kitsune” mais depuis que j’ai fait griller une de leurs reliques, je concours à la position très enviable de “personnalité dont les organes internes pourraient prochainement faire une sortie”.

Bon…Soyons efficace.

Je brandis la cage bien haut au-dessus de ma tête.

"Est-ce que c'est à quelqu'un ?" J’allais pas m’emmerder à faire de la diplomatie, vues les circonstances : au plus vite je rendais ce lardon à sa renarde de mère, au plus vite je sortais d’ici. Une équation simple, même pour moi. Les kitsune se jettent des regards légèrement intrigués (il y a belle lurette que je ne les surprends plus) et finalement l’un d’eux, un petit maigrichon avec un air puant se lève et s’approche de moi - c’est tout juste s’il ne se bouche pas le nez en me parlant : “C’est un salon privé, ici, Kondo, pas une nursery.” “Même avec des fauteuils en cuir, un repaire de renards reste un repaire de renards. Un de vos collègues a visiblement oublié sa descendance sur mon perron, je viens la restituer. Il a été très sage, il a tué personne.” “Quel dommage. Mais il n’y a pas d’heureuse maman ici.” Me rétorque-t-il avec un petit froncement de nez “Je présume en tout cas que tu as enfin trouvé la place qui te revient de droit.” Alors qu’il va pour tourner les talons, je le chope par le col et l’attire à moi, tout sourire. “Parle-moi encore une fois comme ça....” Je lui souffle “Rien qu’une fois et je disperse l’incident diplomatique - c’est à dire toi - sur les murs de ce chenil. Je ne suis pas ton cire-pompe, c’est pigé ? Et fais passer le mot.” Puis je le relâche et arrange négligemment son col avant de saluer. Les renards s’énervent de plus en plus, quelques-uns se sont levés, les dents en avant. Il vaut mieux que je ne m’attarde pas. “Bien, puisqu’apparemment aucun de vous n’est le propriétaire de cet échantillon gratuit, je me retire sur la pointe des pieds. Je vous sens tous très occupés.” Et je m’éclipse presque sans courir, même si ça siffle encore quand je referme les portes du salon. Les deux oni me toisent en rigolant et je les ignore...Me voilà bien avancé. Mes principaux contacts avec les renards me tirent la tronche, ça va être coton pour retrouver la mère...J’aurais pu larguer la terreur au casino et les laisser se débrouiller avec mais je serais tenu pour responsable s’il lui arrivait quelque chose. Pour me mettre dans la mouise, aucun renard n’hésiterait à trucider un des siens, tels que je les connais. Le sens de la famille, c’est pas leur caractéristique principale. Et voilà que l’autre machin recommence à s’exciter dans sa cage, que je secoue. “Quoi encore ?” Il chouine, langue sortie, traduction approximative du “J’ai faim j’ai soif je dois aller aux waters on est bientôt arrivés j’ai envie de vomir” des mioches humains. Ho kami-sama...si j’étais mon père, je l'aurais trucidé sur le paillasson ou balancé sous une rame de métro mais je ne suis PAS mon père et j’ai passé une grande partie de mon enfance à dormir entre les pattes d’un renard. J’avise un macdo...Je ne sais pas si les bébés renards ça boit du milkshake mais on va dire qu’il y a du lait dedans. Et puis ce sera toujours mieux que de le laisser crever de faim. “Si tu fous le bordel...” Je le préviens “...Je te balance dans la friteuse.” Oui c’est idiot, ce n’est pas comme s’il allait m’écouter. Il ne m’a pas écouté, d’ailleurs. *** “Ho, le chien !” Je ne serais pas injuste : le petit monstre s’est à peu près bien tenu (il venait de terminer de laper son milkshake sur la table et attaquait l’emballage de mon hamburger) jusqu’à l’arrivée des trois perturbateurs humains, leurs mains pleines de doigts et leurs babillages. “Le chien, le chien !” “C’est pas un chien. Dégagez.” Et sans la moindre surprise, j’ai obtenu une réaction de type “Parle à ma main”. Bon alors autant vous casser le trip tout de suite : les kitsune ne sont pas attendris par les jeunes enfants (ce serait plutôt l’inverse, au sens propre). Ils ne deviennent pas les meilleurs amis du monde, unis contre les différences qui séparent leurs mondes, ça c’est bon pour Miyazaki ou Disney - pour les moins cultivés d’entre vous (Ceci dit, si vous ne savez pas qui est Miyazaki, les loulous, ce que vous devez galérer à comprendre mes histoires de yôkai, de fuda et consort...). Dans la pratique, pour un kitsune, un mioche c’est un apéritif dodu, ni plus ni moins (sauf éventuellement si l’apéritif est onmyôji, j’en suis la preuve vivante). Malheureusement pour eux, ceux qui sont venus “zouer avec le chien” au Macdo - malgré mes avertissements - n’étaient pas onmyôji, ce qui les réduisait à un simple ensemble de protéines. Ha pour jouer, ils ont joué...M’enfin bon, perdre un index alors qu’on est venu tirer les oreilles d’un bébé kitsune, j’appelle ça bien s’en sortir, pour ma part. Mais la mère éplorée n’était pas tout à fait du même avis. J’ai eu beau lui dire et lui répéter qu’au lieu de hurler en appelant la police et l’armée, elle ferait mieux de mettre le doigt de son mouflet dans les glaçons de son coca pour la greffe, elle persistait. En tant que garant de l’équilibre, il aurait été de mon devoir d’apaiser cette femme et les griefs éventuels qu’elle aurait pu avoir contre les renards suite à cet incident, préserver la paix et l’harmonie fragile qui lient nos deux espèces... Ouais... Ben encore une fois, ça c’est bon pour les studios Ghibli. Dans la pratique, j’ai dû rattraper l’autre tornade poilue, partie se resservir du milk-shake en cuisine et le coincer sous une casserole avant qu’il ne becte les doigts de pieds d’un employé en train de comater au-dessus de sa friteuse. Je me suis platement excusé avec le sourire et je suis sorti avec ma casserole qui grognait avant que les flics ne déboulent. Curieusement, personne n’a essayé de m’en empêcher, pas même la mère catastrophée. C’est à ce moment précis que mon portable s’est mis à sonner... …Pour m’informer que maman renard m’attendait à l’appartement. *** “Mais enfin Kondo-sama, vous n’aviez pas besoin de le promener !” J’étais déjà assez peu jouasse en rentrant casserole à la main, vous vous en doutez, mais lorsque j’ai reconnu “maman renard”, je dirais que mes nerfs se sont mis au tissage et qu'une assez brutale bouffée psychopathe m’est montée au cerveau. “Tsuyu-san...” Tsuyu est une kitsune dont j’ai déjà croisé la route, ce qui m’a valu un vol plané dans un rayon entier de petites culottes et de soutien-gorge (cliquez sur le lien, pour cet instant d’anthologie du ridicule) et dont forcément, j’ai conservé un souvenir TRES mitigé, pour ne pas dire des plans de vendetta particulièrement salée. “Il a été bien sage ?” S’enquiert-elle alors que sa progéniture lui saute dans les bras, toute langue dehors. “Très, par contre je vous déconseille de le nourrir, il a déjà une dague, un emballage de hamburger, un milk-shake et une paille dans ses calories quotidiennes.” “Du milk-shake ? Pas trop, j’espère ?” “Juste un doigt.” (Oui : elle était mauvaise. Mais tentante.) “Dites, à quel moment de la conversation suis-je supposé vous éventrer et vendre votre fils à un laboratoire pharmaceutique ?” “Pourquoi feriez-vous une chose pareille, Kondo-sama ? Kaido vous as ennuyé ?” Donc le bouffeur de pailles s’appelle Kaido. Ça ne change rien à son espérance de vie dans l’immédiat, mais ça me change de “monstre” ou “l’autre saloperie”. Je dois avoir un sourire légèrement borderline quand je réplique : “Ennuyé, ce n’est pas le mot...Disons que j’ai plus ou moins mis un macdo à sac et qu’il a été pour moi l’occasion d’améliorer GRANDEMENT mon image chez vos petits copains. Ha et pendant que j’y pense, nous nous étions quittés dans un contexte TENDU vous et moi, si j’ai bonne mémoire ? ” Je dois avoir réellement une autorité de bulot mort pour qu’un yôkai qui m’avait publiquement humilié il y a moins d’un an se paye le luxe de me confier son môme. “Je vous avais laissé un cadeau pour m’excuser, Kondo-sama. Un homme comme vous incarne la paix entre nos peuples, non ? Vous devriez être sensible à ce geste de...confiance ? ” Me souffle-t-elle en s’approchant, souriante, jusqu’à n’être plus qu’à quelques centimètres de moi. Je t’en foutrais de la paix entre les peuples, moi ! “Je devrais donc considérer le baby-sitting comme un témoignage de respect ? Je vous le dis tout de suite : c’est comme me prendre pour un con, c’est pas le bon moyen pour que je résiste à mon envie de vous savater.” “Ce n’est pas du baby-sitting, Kondo-sama, j’ai jugé que vous étiez quelqu’un de plus fiable pour protéger mon petit Kaido en mon absence que son propre peuple. N’y voyez qu’une marque de mépris, si vous le croyez...” Saleté. J’inspire à fond pour me calmer pendant que Kaido saute des bras de sa mère pour aller s’exciter sur le bas de mon jean, déjà en triste état. Tsuyu ne cesse de sourire alors que je lâche du bout des lèvres, à peine calmé : “Admettons. Ca vous aurait arraché les doigts de m’écrire au moins une NOTE !? Je viens de courir dans tout Tokyo pour vous retrouver et je ne vous raconte pas à quel point j’ai apprécié de trouver le “petit chéri” sur le perron en me levant, sans explications, sans r...” Tsuyu, sans répondre, se contente de pointer le doigt dans ma direction...Et c’est là que je comprends qu’elle montre la porte. Porte où est en effet fixé un petit mot, signé au pinceau. Porte que je n’ai absolument pas regardée, ni quand j’ai récupéré le kitsune, ni quand je suis sorti. Elle est sympa et ne fait pas de commentaires. J’hésite entre me mettre des claques, bouffer le papier et la porte, ou m’en servir pour aplatir maman kitsune et son rejeton (toujours en train de s’exciter sur mon jean en passant). “Je crois qu’il vous aime bien.” “Vous m’en voyez ravi. Ca vous ennuierait de me foutre le camp ? Je suis fatigué et je crois sans mentir que vous me portez un peu sur les nerfs.” (Ton sourire me donne des envies de tête empaillée sur mon mur). Elle n’a pas insisté, à récupéré son horreur en le priant de “dire au revoir à Kondo-sama”. Il m’a exhibé ses deux rangées de dents en bavant abondement. Je suis touché. J’ai un bel avenir comme directeur de chenil le jour où j’en aurais plein le cul de me faire tailler des costards par le premier ministre.

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Source de l'image : silverfuture

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