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"Ne joue pas à Ka-Ku-ren-bô dans les vieux quartiers où elle t'emportera."

"Ne joue pas à Ka-ku-ren-bô à la nuit tombée ou tu finiras en assiette"

"Ne joue jamais à Ka-ku-ren-bô, c'est le grand sac qui t'attend."

C'est le type d'avertissement qui peut faire sourire et évoque davantage le monstre sous le lit que le serial killer embusqué dans une ruelle sombre. Il n'y a pourtant pas de quoi sourire. Les gamins qui jouent à Ka-ku-ren-bô ont toutes les chances de disparaître.

Ce nom barbare ne désigne pourtant que le jeu de cache-cache. Seulement, de nuit et réalisé dans certaines conditions, il s'agit ni plus ni moins d'une porte ouverte à la Kakure Babâ, la sorcière au sac.

J'y ai beaucoup joué étant petit, pas par insouciance mais parce que je savais que je ne risquais rien : mon partenaire étant un kyûbi, la Kakure Babâ ne risquait pas de venir m'enlever, elle se serait fait mâcher et recracher avant même d'avoir eu le temps d'ouvrir son sac. J'imagine ces vieilles rombières rager de me voir les défier sur leur terrain de jeu sans pouvoir rien y faire, me regardant grandir et donc devenir hors de leur portée.

Car la Kakure Babâ ("sorcière cache-cache", en quelque sorte) n'est intéressée que par les enfants qui sortent la nuit pour jouer à Ka-ku-ren-bô. Elle les moissonne et les enferme dans son sac avant de les mettre dans des jarres et de les presser pour faire de l'huile. Il y a eu pas mal d'incidents liés au Ka-ku-ren-bô au début du vingtième siècle, pour progressivement décroître, les gamins préférant clairement la télévision puis leur console de jeu plutôt que d'aller se geler dans les shôtengai sordides de leur patelin. J'avoue avoir même pensé que les Kakure Babâ avaient plus ou moins disparu mais visiblement, j'ai été trop optimiste.

***

"C'est moi qui lui dis !!!"

"Ta gueule, c'est moi qui l'ai trouvé la première !"

Ce que j'aime particulièrement chez les enfants, c'est leur absence. Et ce que j'aime par-dessus tout chez mes jeunes élèves, c'est leur retenue et leur calme, indispensable à l'exercice de la fonction d'onmyôji.

J'y songe en regardant Ayane et Shinkin s'invectiver en se disputant un flyer daltonien psychédélique. Le très élégant "ta gueule" provient d'ailleurs de ma petite cousine qui je le rappelle vit avec moi. Oui, ça se voit et ça s'entend. Quant à Tetsuo, le troisième et dernier moutard à qui j'enseigne, il reste prudemment à distance, bredouillant des "Mais arrêtez, Satoru-sama va se fâcher."

"Je ne vais pas me fâcher."

Je leur souris, posant mon menton sur mes mains.

"Je vous promets simplement d'achever la survivante si vous n'arrêtez pas ce cirque dans les cinq secondes qui vont suivre la fin de cette phrase. Un…"

Les deux filles s'échangent un regard que je n'aimerais pas recevoir d'un yôkai et tirent de plus belle.

"Allez, donne ! Je suis de sa famille, moi, toi t'es rien qu'une…"

"Une quoi ???"

"Deux…"

Je me fais craquer les doigts. Elles vont prendre une fessée chacune, suivie d'une douche froide et elles savent que j'en suis capable. Finalement, Ayane, fait mine de lâcher en grognant un "c'est bon, prends-le ton truc" pour mieux l'arracher des mains de Shinkin alors qu'elle desserre sa prise.

"Oncle Satoru ! T'as vu ce qu'elle a fait ???"

"Je t'ai vu te faire bananer comme une débutante surtout. On ne baisse jamais sa garde, tu te rappelles ?"

Triomphante, Ayane vient me poser le flyer sur la table de la cuisine – où je tentais de boire mon thé avant que les trois tornades ne déboulent dans l'appartement. J'examine le papier d'un œil vague avant de tiquer. Mes sourcils se rejoignent quasiment et je repose ma tasse.

"Où avez-vous trouvé ça ?"

"Ils le distribuent à la sortie de l'école." Bredouille Tetsuo "J'ai pensé que c'était bizarre."

Donc c'est bien lui qui a l'idée, les deux pestes n'ont fait que la lui piquer…Je me lève.

"Séance méditation pour vous, les filles. Une heure chacune."

"Hein ??? Pourquoi ?"

Elles semblent tomber des nues. Je fais signe à Tetsuo d'approcher.

"Pour lui avoir barboté son flyer et avoir voulu vous approprier le mérite."

"Tu dis toujours que tous les coups sont permis !" Proteste Shinkin, mortifiée.

"Très juste. Tu connais la différence entre une voleuse et une fille maline ?"

Je lui appuie sur le front.

"La voleuse se fait gauler. Méditation, j'ai dis. Quant à toi, Tetsuo, tu vas m'accompagner sur cette mission. "

Quatre-zyeux devient aussitôt couleur bidet et se remet à bredouiller de plus belle.

Mais de toute façon, je préfère qu'on soit deux…Sur le flyer, il est annoncé qu'un grand jeu concours "Kakurenbô" se tient tous les soirs à Kamata, une grande partie de cache-cache, réservée aux moins de quinze ans.

Relève le défi !

Nombreux lots à gagner!

Ca pourrait n'être qu'une idée de publicitaire…Mais le choix du mot "Kakurenbô" m'a alerté.

"Cette…Mission, Kondo-sama ?"

"Ho tu verras, ça sera sympa. Tu aimes cache-cache, non ? A quoi ils ressemblaient tes distributeurs de tract ?"

"Tout petits…ils avaient de gros nez aussi."

Des baba qui distribuent des tracts à la sortie des écoles pour un grand jeu de Kakurenbô à Kamata, le quartier truffé de petits passages commerçants…C'est malin. Il y a même un petit porte-clefs attaché au flyer, comme signe de reconnaissance. Elles se modernisent, ces vieilles peaux.

Les filles sont allées s'installer dans le salon et dégagent la place en râlant tandis que je sors tout mon matériel et le fourre dans ma sacoche. Tetsuo a l'air d'un condamné à mort. Je soupire. Ce gosse…

"Comment veux-tu être un onmyôji si tu as peur de ton ombre, dis-moi ?" Je grogne.

"En restant en vie, Kondo-sama. C'est vous qui le dites tout le temps."

Note pour moi-même : arrêtez d'asséner ma philosophie à deux yens aux mômes.

Partie de Kakurenbô ce soir, donc…A la semaine prochaine pour le décompte des points.

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Source de l'image : badalley

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