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Les fleurs ne sont pas chères-Pt2

Si vous avez raté le début, c'était là.

Non, il n'y a pas eu de bug, non le paragraphe d'intro n'a pas sauté. J'avais une flemme avoisinant le quintal, à faire rougir de honte un narcoleptique, c'est tout.

Donc pas d'intro.

Bref, reprenons.

***

Ça n'a rien d'une nouveauté, je n'ai pas le sens de la diplomatie (mais celui de l'euphémisme, comme vous pouvez le voir). Expliquer à ma cousine de onze ans que sa tenue vestimentaire n'est pas de très bon goût ("Tu t'es trompée de boutique, tu es entrée dans un magasin pour animaux ?") est déjà périlleux, imaginons donc sur un sujet plus grave…

Comme expliquer à un père de famille que je dois ouvrir la sépulture de sa gosse de huit ans. Me voir débarquer chez lui avec une simple autorisation gouvernementale et ma touche d'étudiant pour lui balancer ça aura au moins pimenté sa soirée – et la mienne, vu la manière dont il m'a "raccompagné" à la porte, en me promettant de me refaire le portrait à la phalange si je m'avisais de revenir. Je ne m'attendais pas à autre chose, de toute manière…Notre conversation s'est limitée à deux phrases, la mienne et un "Sortez" particulièrement impératif, je n'ai même pas eu le temps de lui exposer mes motifs avant de me faire virer, par le col. Au moins il ne m'avait pas collé un gnon, j'aurais eu l'air malin en allant voir la deuxième endeuillée maquillé comme un panda unilatéral.

J'espérais qu'elle serait un peu moins à fleur de peau, son mari était apparemment mort de sa belle mort, à un âge suffisamment avancé pour dépasser le plafond "injuste".

Pour ça, Misao était calme. Lorsqu'elle m'a ouvert, elle se tenait très droite, enveloppée dans une veste rouge. Elle a légèrement haussé un sourcil et m'a prévenu qu'elle "n'achetait rien".

"Ça tombe bien, je n'ai rien à vous vendre. Satoru Kondo, agent du gouvernement, je vous ai appelée hier. C'est au sujet de votre mari."

"Oui, j'ai été prévenue. Quant à mon mari, vous arrivez un peu tard, il est mort, Kondo-san."

Quand on parle de diplomatie…Elle a gardé une expression parfaitement égale en me répondant.

"Justement, il semble qu'il y ait un problème avec sa sépulture. Croyez-bien que je suis désolé…"

Elle lève une main pour m'arrêter, puis la laisse retomber dans un mouvement circulaire avant de s'écarter, m'invitant à entrer. M'exécutant, je la regarde du coin de l'œil se diriger vers la cuisine, me précédant. Elle a l'air bien plus âgée que ma mère mais se tient parfaitement droite, souriante mais austère. Elle s'arrête devant le lavabo, attrape un verre qu'elle pose devant moi dans un petit claquement sec.

"Vous prenez ?"

"Rien, je n'ai…"

"Juste de l'eau ?"

Au moins je suis fixé, si je veux espérer en placer une, j'ai intérêt à faire mes phrases d'une traite. Elle remplit mon verre et s'assoit, croisant lentement les mains.

"Kondo-san, soyez bref. Mon mari a été enterré il y a deux semaines et on m'a assurée que tout était en règle. J'y ai veillé scrupuleusement."

Je m'autorise un sourire en attrapant mon verre.

"Ça je n'en doute pas, j'imagine mal ce qui pourrait ne pas être en règle chez vous."

Elle a coiffé ses cheveux en arrière, seule une petite mèche rebiffe en lui tombant sur le front. Elle s'autorise elle aussi un léger sourire.

"Dans ce cas, que me reproche-t-on ?"

"Rien."

Je fais glisser vers elle mon autorisation, qu'elle examine sans la toucher.

"Pour des raisons sanitaires, je suis forcé de vous demander l'autorisation d'ouvrir la sépulture de votre mari. La terre est empoisonnée dans cette zone et nous essayons de déterminer si cela ne peut pas venir des urnes funéraires dans les tombes. "

Elle relève les yeux sur moi, seul un très léger pincement dans ses lèvres m'indiquant son indignation. Néanmoins, elle ne m'en fait pas part, du moins pas directement.

"Il n'y a pas que la tombe de mon époux."

"Nous effectuons la même démarche auprès du propriétaire de la tombe voisine. Pour le moment, nous…hem…n'avons pas reçu son approbation." (Quand je vous disais que je maniais l'euphémisme…)

"Pour ouvrir une tombe laissée à l'abandon ?"

Elle semble surprise, pas autant que moi, ceci dit :

"A l'abandon ? On y a enfoui une petite fille il y a quelques jours, tout juste. Je viens de rencontrer le père."

Misao secoue la tête.

"Je puis vous affirmer, Kondo-san, que lorsque je suis allée au cimetière, la tombe voisine était à l'abandon, envahie par les herbes folles. Je m'étonnais d'ailleurs qu'on la laisse en l'état quand on sait le nombre de demandes pour un emplacement à Yanaka. J'ignorais qu'elle pouvait être libérée dans un délai si court."

Autant dans mon métier, on apprend qu'il vaut mieux tout mettre en doute pour éviter de commettre des erreurs de jugement ou des imprudences, autant Misao et sa coiffure impeccable, sa veste jetée sur ses épaules sans un faux pli et sa nuque bien droite, son regard ancré dans le mien est le genre de personne que je n'imagine pas se tromper. Pour un peu, elle aurait mesuré la hauteur des mauvaises herbes sur la tombe voisine.

"Je me suis d'ailleurs plainte, l'herbe commençait à empiéter sur notre sépulture. A mon âge, je ne me vois pas désherber, Kondo-san."

"Il y en a des moins droits que vous, à votre âge, Misao-san." Je lui signale, amusé, en imaginant la gueule du responsable de Yanaka, en train de se faire remonter les bretelles au sujet des dix centimètres de verdure non règlementaires. " Comme je vous le disais, j'ai rarement vu quelqu'un d'aussi perpendiculaire au sol que vous."

"J'ai pris une photo, si vous avez besoin d'une preuve."

"Vous avez pris une photo…"

Ok, je suis tombé sur le Naichō* du quartier, pour un peu elle enquêterait à ma place…Et à en juger la lueur dans son regard, ça ne la dérangerait pas. Se redressant, elle va chercher son téléphone, sur lequel elle pianote. Quand je pense que je ne sais toujours pas changer la sonnerie du mien…

"Voilà. C'est pratique, ces mobiles"

"C'est certain." (Non, je ne suis pas un lèche-cul, je contenais mon amertume et ma jalousie d'handicapé technologique).

Sur la photo, on voit en effet un parterre envahi de mauvaises herbes. Je fronce le nez.

"C'est une preuve." Maintient Misao en se rasseyant.

"C'est-à-dire vu comme ça, vous pourriez avoir pris n'importe quelle touffe d'herbe de Tokyo, ce serait pareil."

"Il y a la tombe de mon époux, vous voyez bien le premier caractère de mon nom. Je vais vous chercher ma carte d'identité si vous souhaitez vérifier."

"Je vous crois." De toute façon, les caractères de son nom de famille sont inscrits en haut de l'autorisation d'exhumer que j'avais posée devant elle. Et puis je commençais à avoir peur qu'elle me sorte les photos de l'enterrement et le bail locatif de leur sépulture, à vrai dire. Elle en était parfaitement capable. Tandis que j'examine la photo, elle se penche vers moi :

"Vous travaillez dans quel ministère ?"

"Pardonnez-moi mais…Vous étiez fli…policier ?"

Ses mains tapotent sur la table alors qu'elle ne me quitte pas des yeux (pour le coup, je me demande si je ne préférais pas me faire sortir comme un malpropre).

"Non, j'étais maîtresse de Ballet. Et vous-même, en quelle qualité venez-vous me voir ?"

Je me lève.

"Moi je donne plutôt dans le chef d'orchestre. Sauf que j'exerce à plus grande échelle et que personne ne m'écoute. Il y a d'ailleurs une partition assez bizarre en train de se jouer à Yanaka, si ce que vous me dites est vrai. Je suppose que vous m'interdisez de toucher à la sépulture de votre mari ?"

Elle s'accorde quelques secondes de silence – plus pour son petit effet que par nécessité de réfléchir, vu le personnage – et attrape finalement l'autorisation.

"Je vais chercher mon hanko."

"Vous acceptez ?"

"Vous l'avez dit vous-même : j'aime les choses en règle. Mon mari était comme moi."

Elle se fend d'un nouveau sourire, plus chaleureux.

"Il était chef d'orchestre."

***

Voilà où j'en suis…La "petite" affaire est en train de prendre des allures de bourbier. Je retourne demain à Yanaka regarder de près la tombe de la petite, je crois que j'ai mon idée...Et je sens qu'il y a un père adepte du tirage de col à qui je vais devoir aller dire deux mots. Quelque chose dans le genre : "Pas le choix".

Oui je sais, ça fait trois mots.

A la semaine prochaine pour la conclusion, je pense. Faudra songer à apporter des glaçons, m'est avis que je vais avoir un œil fardé façon dalmatien.

Bonne semaine à tous, les vivants, les morts, les fleurs et ceux que j'oublie !

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*Service des renseignements japonais

Source de l'image : garryknight

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