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Méditation sous pression

De retour. L'enterrement a été…Je ne sais pas quel terme employer, sans devenir trop vulgaire ou désinvolte. Disons que dans la mesure où la dernière fois que je me suis adressé à mon père, je lui ai souhaité de mourir le plus loin possible de moi, ce serait faux-cul de ma part de dire que je suis ému.

Je crois que j'ai juste un retour de rancœur…Comme une envie de lui en vouloir encore, de s'être rappelé à nous, de rendre les choses compliquées encore une fois, bref, d'en rajouter une couche. Oui, je sais, je suis immonde mais je l'assume très bien.

Conséquemment au décès de mon père, je suis donc devenu le maître du clan à part entière (Oui parce que pendant ces dernières années à me prendre des gnons, j'assurais juste l'intérim, j'ai été ravi de l'apprendre).

Alors pour cette semaine, comme je n'ai aucune envie de raconter l'enterrement, je vais m'offrir quelques lignes nostalgiques : mon arrivée à Tokyo et mon adaptation après près de vingt ans passés dans ma maison de famille. J'avais déjà évoqué ma première affaire en solo dans la capitale – un franc succès mais quid de la "vie de tous les jours" ?

Tout d'abord il a fallu me faire au métro et je ne parle pas de ses fantômes…Non, il a fallu que je comprenne le sens, les arrêts, les correspondances. Je suis parti plusieurs fois dans le mauvais sens la première semaine, ce qui a carrément arrangé ma ponctualité naturelle. Et surtout, surtout, moi qui avait l'habitude de ma grande maison de famille à demi vide, j'ai découvert les sensations du collé-serré, qui m'a valu le deuxième jour une "chikan-attack" : une fille m'a traité de pervers devant tout le wagon, en criant. J'ai bien essayé de m'excuser en lui expliquant que je me rattrapais un peu à ce que je pouvais mais ça n'a pas franchement arrangé les choses. Pour vous donner une idée de ma touche à l'époque, je portais un costard (mal coupé), j'étais gringalet, affligé d'une coupe au bol qui aurait mérité que je me fasse raser et je parlais en-dessous des dix décibels, alors expliquer à tout un wagon que non, les poumons et les reins de mademoiselle ne m'intéressent pas… Maintenant, je ne me raccroche qu'aux mecs, de cette façon, j'ai la paix. Je passe potentiellement pour un homo frustré mais j'ai-la-paix.

Après le métro et mes multiples retards – pardon-j'ai-pris-le-trait-jaune-au-lieu-du-orange-et-je-me-suis-gourré-à-la-correspondance, mon employeur m'a suggéré de faire l'acquisition d'un portable. Instant de froid intense dans mon estomac en songeant à tous ces somnambules, occupés à pianoter sur leurs engins, le nez greffé à l'écran au lieu de regarder devant eux. A la maison, on m'a toujours présenté la technologie comme on l'aurait fait d'un insecte vaguement répugnant mais malheureusement nécessaire, j'espérais naïvement ne pas en avoir besoin. Au 21ème siècle.

"Juste pour téléphoner, Kondo-san, vous n'avez pas besoin d'un appareil compliqué." M'avait rassuré le premier ministre.

Alors je tiens à faire une parenthèse : les concepteurs de téléphone portable savent faire des machines microscopiques qui font baladeur, appareil photo, navigation internet, compositeur musical, télévision portative, GPS, qui parlent et bientôt sauteront à la gueule des utilisateurs en dépassement de forfait pour leur arracher les yeux…Mais le modèle simple qui ne fait que téléphoner, pas moyen. Le vendeur a qualifié l'appareil qu'il m'a vendu "d'ergonomique pour les personnes légèrement technophobes."

Je t'en foutrais de l'ergonomique, à coups de manche de pioche ! C'est une lycéenne qui a fini par m'expliquer comment on procédait, prise de pitié en me voyant m'affoler alors que l'appareil infernal sonnait comme un damné au beau milieu d'un macdo. On ne se sent pas con, c'est au-delà, je dirais…Dépassé, épuisé, pathétique, ce ne sont pas les qualificatifs qui manquent. Je rêvais d'exploser ce fichu portable et d'en jeter les débris dans les gobelets de café du cabinet ministériel, un peu pour chacun de ces politicards qui toisaient le nain boutonneux que j'étais à l'époque. Je ne leur donne pas complètement tort : j'avais le charisme d'un pneu à plat.

L'autre aspect sympa a d'ailleurs été l'accueil que j'ai reçu de la part des yôkai bien implantés en ville : mon père avait exercé la peur sur eux durant sa gestion des affaires courantes ésotériques, il n'hésitait pas à faire un exemple en zigouillant du kitsune ou du bakeneko au moindre signe de rébellion. Et moi du bas de mon mètre 60 avec ma coupe au bol ? A votre avis ? Sans être jamais allé à l'école, je pense que j'ai subi l'équivalent d'un bizutage lorsque les premiers oni ont croisé ma route : je peux vous assurer et vous confirmer que lutter près d'une heure pour se sortir d'une poubelle dont on a coincé le couvercle est un sport déplaisant. Ca forge le caractère, me direz vous (un SALE caractère, en l'occurrence, j'ai redressé la barre très vite).

Mais la partie qui avec le recul me fait sourire, c'est l'anecdote de la cascade.

Pour me recentrer et améliorer ma perception, il est judicieux de se plonger dans l'eau froide : la veille d'exorcismes un peu costauds, je n'hésite pas à prendre un bain glacé (Je vous laisse quelques secondes pour grincer de toutes vos dents. Là. Vous y êtes ?). Et quand je suis troublé, que j'ai du mal à retrouver ma sérénité, il n'y a rien de mieux qu'un peu de méditation sous une cascade, au milieu de nulle-part. On "coupe" ses sens primaires pour être en parfaite harmonie avec le monde qui nous entoure.

Hé bien aussi incroyable que ça puisse paraître, à Tokyo : pas de cascade (Oui, j'ai VRAIMENT posé la question, histoire de "vérifier". La tête du type qui tenait le guichet de tourisme valait son pesant de Nutella). Comme j'étais complètement paumé, j'avais besoin de cette séance de méditation, pour me retrouver un peu en paix avec moi-même. J'ai bien envisagé de retourner à mon point de méditation habituel, mais à vrai dire, rentrer la queue entre les jambes me hérissait. J'étais tout de même parti en claquant la porte, balançant mon costume de cérémonie au fond d'une poubelle – tout un symbole quand on sait le temps que j'y passe dans mon boulot actuel, dans les poubelles – snobant mon frère qui s'était déplacé pour m'amener à Tokyo pour me rendre à la gare. Ma mère a même pensé que je me barrais pour de bon. Après une sortie pareille, pas question de revenir pour faire de la méditation. C'est une des filles de l'office de tourisme, la seule à ne pas s'être demandée si elle n'avait pas affaire à un fou qui m'a simplement suggéré :

"Et une douche froide, ça ne ferait pas l'affaire en attendant ? C'est un peu petit pour une cascade, je vous l'accorde mais si vous avez une bonne pression, ça vous fera une solution alternative."

Ca peut paraître misérable à priori comme solution mais c'est sans doute le premier avantage que j'ai découvert en étant citadin : la cascade à débit variable. Parce que de la pression, il y en avait, j'ai juste dû éponger deux ou trois fois la flotte qui avait envahi jusqu'à la pièce principale. Le métier qui rentre, encore une fois…

En fait c'est assez consternant de se dire qu'on en a bavé pour apprendre un métier qui requiert de ne rien faire d'autre de sa vie…Et d'arriver "chez les grands" pour s'apercevoir qu'il faut recommencer l'apprentissage pour construire une existence qui ne tourne pas autour des mantra ou de la méditation exclusivement, que personne n'a écrit de manuel pour ça mais que tout le monde s'étonne que vous ramiez. Ceci dit, quand j'y repense, ça m'amuse plus qu'autre chose : j'ai eu des journées de merde, j'étais paumé…Mais ma merde, je la gérais tout seul, pour la première fois. Considérant que je ne suis pas mort d'hypothermie sous ma douche froide ou étouffé au fond d'une poubelle, je dirais que je m'en suis bien tiré. Je suis limité mais extrêmement têtu, un trait de caractère…

…Que je tiens typiquement de mon père.

J'admets, pour une oraison funèbre c'est un peu court.

Sur ce, le MAITRE (maintenant je peux l'écrire en toutes lettres) vous souhaite une bonne semaine. Les publications reprennent leur rythme régulier.

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Source de l'image : loungerie

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