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Burning side

Je vais crever.

Ou ne plus jamais me lever de mon plumard, ce qui revient au même. J’appréhende de poser le pied par terre, vu la température j’ai peur qu’il reste collé. Je me sens l’âme d’un barbecue, je descend des kirin - pas les trucs avec des cornes, les bières - au litre, d’ici la fin de l’été je vais avoir un bide façon portée de triplés si je continue comme ça. Ceci dit, vu mon activité soutenue de ces dernières semaines, je cours suffisamment pour m’entretenir. Il fait beau et chaud et les petits yôkai sont de sortie pour aller piquer sur les étalages ou au marché aux poissons de Tokyo, ce qui m’oblige à les choper en groupe, les ramener par la peau du cul à leurs parents et à re-re-re-commencer une leçon de civisme que je ponctue par ce vigoureux avertissement citoyen ou j’explique qu’à la prochaine incartade ce sera mon pied au cul et un passage en commission de sécurité.

Depuis que le mange crasse a eu l’idée géniale de vouloir aller se faire un pique-nique dans la climatisation - dans laquelle il a fini par coincer son interminable langue - elle ne comporte plus que deux positions : “ne rafraîchit pas”/“pue et réchauffe”.

Avec plus de trente degrés affichés, j’avoue donc n’avoir pas pris très au sérieux ce père de famille qui se plaignait que sa fille ait des coups de soleil.

Bon ok, il a parlé de plaques rouges sur tout le corps mais quand mon cerveau est en surchauffe, il a tendance à devenir sélectif, c’est à dire à anihiler la moindre info qui m’éloigne du bac de douche. Lorsqu’il a rappelé au bout de deux jours et que j’ai entendu les cris de la gosse en fond sonore, j’ai accepté. Enfin, jusqu’à entendre qu’ils étaient à Yokohama.

Non parce que même en taxi, je suis pas certain d’y arriver. Si on me retrouve fondu dans un magma d’asphalte, il aura ma mort sur la conscience, ce bon père de famille.

****

En rentrant dans la maison - enfin en me traînant sur le palier plutôt - j’aurais pu apprécier la fraîcheur des lieux ou le fait que le père m’ait tout de suite proposé de boire quelque chose en me voyant tirer la langue comme un clébard, mon jean imbibé de sueur, mon sac me sciant l’épaule et formant une auréole de transpiration sur mon tee-shirt. Mais à vrai dire, les hurlements stridents qui retentissaient jusque dans l’entrée m’ont surtout fait regretter que le soleil n’ait pas fait fondre mes tympans.

“C’est devenu intolérable.”

“Devenu seulement ? Vous auriez dû m'appeler avant. Vous n’êtes pas sérieux.”

“Mais je l’ai fait, c’est vous qui avez dit...”

“Ha, ne me mettez pas sur le dos votre irresponsabilité crasse, j’ai assez chaud comme ça ! Faut suivre les cris pour trouver la demoiselle, je suppose ?”

“Heu...elle...elle est au premier.”

“Ça s’entend. Joli organe, au passage. Elle fait quoi en temps normal ?” Je demande en montant les escaliers. A l’étage, c’est tout bonnement insupportable, on se croirait à un concert de Gackt.

“Elle...elle va au lycée.”

Je pousse la porte de la chambre et trouve la mère au chevet de la gamine. Et comment dire...C’est pas beau à voir. Du tout. Tout son buste et ses avant bras sont écarlates, des cloques commencent même à apparaître. Il était vraiment temps que j’arrive.

“Est-ce qu’elle est sortie ?”

“Pas depuis que ses rougeurs ont commencé à apparaître. Elle est très sensible au soleil, chaque année, elle a des poussées. Mais cette fois-ci, c’est pire, son médecin n’a jamais vu ça, surtout sur une partie du corps isolée.” M’explique le père. “Vous avez une idée ?”

Lorsque je m’approche, elle s’agite sur son lit et hurle de plus belle en me fixant, affolée.

“Quoi, mon bronzage lui plaît pas ?”

“Elle a peur que vous la touchiez. Elle...a très mal.” M’explique la mère, relativement calme malgré ses traits tirés.

“Je peux difficilement l’examiner si je reste à vingt mètres.”

J’ouvre ma sacoche et sors une poignée de fuda ainsi qu’un peu de sel.

“Mais je vais essayer si ça m’évite de prendre un pied dans la figure.”

Alors que j’entoure le lit d’une ligne de sel, le père me regarde procéder sans cesser de babiller, ponctuant chaque phrase de “Mais qu’est-ce qu’elle a ?”. Excédé, je range la salière et tends un fuda à la mère.

“J’aurais dis un père emmerdant mais je suis pas certain du lien cause à effet. Tenez, mettez ça sur une zone non brûlée et maintenez le quoi qu’il arrive. Elle ne va pas aimer ce que je vais faire.”

“Et qu’allez vous faire exactement ? Rien de dangereux ? Elle est affaiblie !”

Ha, tiens, le paternel a moyennement apprécié ma petite blague. Je lui attrape la main pour la tapoter.

“Faut pas vous énerver comme ça, par cette chaleur vous vous faites du mal. Je vais juste prélever un bout de peau.”

“Pardon ?”

“Oui, oui, j’ai même l’outil pour ça. Bon elle est un peu émoussée, faudra sans doute que j’insiste.”

Je sors ma dague de cérémonie et la dégaine, faisant danser le reflet sur la lame en observant mon client, que la colère rend très pâle.

“Hé. Je déconne. Je vais simplement vérifier si elle n’a pas un esprit parasite, c’est désagréable psychiquement, c’est tout. Allez me chercher une bière plutôt que de me vrombir autour, c’est pénible. Faudrait pas que je merde.”

Une fois qu’il a battu en retraite, je me tourne vers la mère. Elle a beau être silencieuse, je vois bien qu’elle est aussi angoissée que son mari. Diplomate, Satoru, diplomate, sinon ça va encore ruer dans toute l’administration. J’inspire et m’asseois au sol.

“Je pense que votre fille a un esprit qui la phagocyte et provoque ces brûlures...Sans doute une personne morte dans un incendie ou quelque chose de ce genre. Vous avez le certificat spirituel de cette maison ?”

“Nous ne sommes que locataires mais nous avons posé la question en emménageant. Elle est neuve.”

“Vous avez une idée de ce qu’il pouvait y avoir sur ce terrain avant ?”

“Aucune, désolée.”

Elle secoue la tête.

“Je suis navrée. Je ne peux pas davantage vous aider.”

“C’est pas moi que vous aidez mais elle. Si c’est peu puissant, je l’exorciserai rapidement et elle n’aura pas de traces, voire pas de souvenirs, ok ?”

Je joins les mains et libère mon esprit, faisant le vide jusqu’à ne plus percevoir sons, sensations, odeurs mais uniquement les esprits qui m’entourent...Celui de la mère, sombre et houleux mais légèrement apaisé...celui du père, déchaînement de stress et de colère, que j’évite soigneusement, celui de la petite, maelström de peur et de douleur...et au milieu...

Il est là.

Un quatrième esprit qui n’a rien à faire ici, minuscule étincelle consciente nichée au coeur de l’âme de la gosse, qui la brûle, la consume. La douleur est si intense que j’en serre les dents. Empathie de merde...Au moins, j’ai repéré le gêneur, il n’a pas l’air trop méchant, ça devrait aller vite. Reprenant possession de mon corps et de mes sens primaires, je me lève et vois le père au-dessus de moi en train de me tendre une bière, que je prends avec le sourire.

“Fallait pas. Bon, j’ai repéré le vilain locataire. Il est pas gros ni vraiment teigneux mais il fait du dégât. On va la débarasser, ce sera mieux pour elle qu’une carrière comme tranche de bacon, hmmm ?”

Reposant ma bière entamée sur la commode, je m’approche, enjambant la barrière de sel en remontant mes manches et fais signe aux parents.

“Un sur les jambes l’autre sur les mains. J’ai pas envie de finir défiguré.”

“Qu’est-ce que vous....”

“Je vais sortir le parasite. Vous suivez pas. En même temps si vous vous cassez en plein milieu de la conversation pour faire le service boisson...Allez.”

Ils s’exécutent, immobilisant la gamine, qui hurle à s’en arracher les cordes vocales lorsque sa mère doit appuyer sur ses poignets bourrelés de cloques. Si je me laissais aller un peu trop à mon empathie, j’aurais mal pour elle. Mais ça va pas la sauver.

“Ca va faire très mal, désolé.”

Je le suis pas réellement, c’est qu’un sale moment à passer mais au moins ça me dédouane un minimum. Lorsqu’un esprit est ancré de manière aussi profonde dans une âme, ce n’est jamais agréable à l’extraction. Attrapant ma salière, j’en verse une traînée sur le ventre de la gosse, qui hurle et cabre, avant de presser mon fuda sur la ligne ainsi formée, fermant les yeux, concentré sur mes mantra de purification. En temps normal, l’esprit parasite se débat un peu, réplique éventuellement mais sort malgré tout, il faudrait un fantôme d’une puissance bien supérieure pour m’envoyer au tapis. Je pose ma seconde main à plat sur la peau.

J’effleure alors l’esprit, une fraction de seconde...

Chaleur...

Je ne peux pas bouger, immobile, tout est noir...Je ne respire plus. Chaud...Tellement chaud...

Au-dessus de ma tête, des voix, des bruits métalliques, on parle...du japonais...Le bruit métallique s’amplifie et soudain la chaleur et la lumière me frappe au visage et j’entrevois un grand terrain, des dizaines de silhouettes, des bruits sourds, de la poussière...

Et cette chaleur intolérable...

Je brûle !!!

Mon visage, mes épaules...

JE BRULE !!!

SORTEZ-MOI DE LA !!!

Une douleur brutale m’inonde alors les bras, me coupant au beau milieu de mon incantation.

Merde !!

C’est quoi, ce truc !!?

A découvert, interrompu au beau milieu de ma prière, je sens une force qui, jaillissant du corps de la petite, se jette sur moi et me projette en arrière, me faisant traverser la pièce. Je reste au sol, recroquevillé, me mordant la langue comme un forcené pour ne pas hurler à la douleur brûlante qui m’envahit les mains.

“Kondo-san !! Est-ce que tout va bien ?? Kondo-san !!

Une odeur de chair brûlée monte dans la chambre alors que la mère de la gamine me retourne lentement et constate les dégâts en même temps que moi : mes mains sont couvertes de cloques, la peau est flétrie.

“Appelle le médecin !!”

J’inspire régulièrement, profondément, pour me calmer alors que j’ai l’impression que mes paumes se consument littéralement.

Merde, c’était quoi ça ?

***

“Oui. Au second degré. Toutes les deux.”

Shinkin se rapproche pour écouter, tout en continuant à me tenir le portable contre l’oreille.

“Deux semaines, minimum, selon le médecin. Si je peux quand même travailler ?? Je pourrais envisager de faire mes incantations et mes prières avec les pieds mais vu la température, l’odeur devrait suffire à faire fuir n’importe quoi. Vous avez beaucoup de questions comme ça ? J’ai les paumes brûlées, je ne PEUX plus utiliser mes mains !”

Shinkin me retire alors le téléphone, qu’elle cale contre son épaule.

“Il vous rappelle dans deux semaines.”

Puis, elle raccroche et me tend un verre d’eau, me le collant contre la bouche.

“Dis-donc, toi, depuis quand tu gères mon planning ?”

“Y’a un problème, oncle Satoru.”

Elle a l’air grave en examinant mes mains.

“Ça ne guérit pas, hein ? Même si j’ai utilisé les techniques de soin ?”

“Non. Ça ne guérit pas.”

Ce qui veut dire que l’esprit que j’ai tenté de neutraliser m’a plus ou moins maudit...Ce ne sont pas des blessures classiques, elles ne disparaîtront que si je m’occupe de celui qui me les a infligées.

“Comment un esprit aussi petit a pu te faire mal comme ça ?”

“C’est justement ce qui m’intrigue...Mais tu sais, Shinkin, il n’y a pas que la puissance qui joue...il y a aussi le lien avec la personne possédée. Dans son état, impossible de l’interroger mais peut-être que son parasite ne l’a pas choisie par hasard...Qu’est-ce qui peut relier deux âmes, Shinkin ?”

Elle marque une pause et réfléchit quelques secondes avant de réciter, énumérant sur le bout de ses doigts :

“Le meurtre, la grossesse, la réincarnation, l’amour, l’amitié, le lien de parenté, le pacte de sang.”

“Pas mal. Maintenant, comment peut-on mourir par le feu ? Je pense que la grossesse est à écarter...Il faut que je sache si quelqu’un dans son entourage est passé sur le grill récemment. Et j’ai pas vraiment le temps de faire des hypothèses, il faut aller au plus simple, l’état de la gamine se dégrade et le mien avec. Ou bien elle a tué quelqu’un par le feu, ou bien un de ses proches directs est mort par le feu...ou bien elle est morte par le feu dans sa précédente vie. Mais ça aussi c’est à exclure.”

“Pourquoi ?”

“Ça se serait manifesté plus tôt. Il y a eu un déclencheur. Il faut qu’on sache s’il y a eu un incendie récemment.”

Pendant que je réfléchis, Shinkin descend du canapé pour aller chercher ma sacoche, qu’elle passe.

“On peut savoir ce que tu fais ?”

“Ben je te porte tes affaires, tu pourras rien prendre dedans, de toute façon.”

Je veux croiser les bras et le regrette instantanément, gardant les mains relevées devant moi. J’ai l’air con, on dirait que je fais le beau, avec mes paluches enrubannées.

“Et tes cours ?”

“J’ai qu’à leur dire que tu peux pas travailler avec les pieds ?” Me répond-t-elle tranquillement avant de glisser ma boîte de calmants dans la sacoche. “Par quoi on commence ?”

“Par ma vision. C’était un chantier, j’en suis à peu près certain, je dois retrouver lequel. Les ouvriers avaient un accent, du Kansaï, je crois. Et toi tu vas éplucher les dernières actualités et me recenser les derniers incendies.”

“Mais ça va être hyper long !”

“Pas plus que d’interroger la grillée. Dans son état, à part des variations de tonalité on en tirera rien.”

Je lève les bras et ajoute, pince-sans-rire.

“Et on a pas vraiment le loisir d’attendre, pour changer.”

A SUIVRE....

Ps : pour ceux qui se demandent comment le post est arrivé là, je n’ai pas tapé avec les pieds, c’est Watari-san, mon prof d’informatique, qui a écrit sous dictée.

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Source de l'image : puuikibeach

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