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Les otaku se cachent pour mourir

Gekkô fait toujours sonner mon téléphone quatre fois : la première pour être sûr de me réveiller, la deuxième pour me laisser le temps de retrouver mon téléphone, la troisième pour m’apercevoir que c’est lui et lui raccrocher au nez. Puis, il laisse passer environ cinq minutes - le temps nécessaire pour que je me rendorme ou que je reprenne mes activités - et il rappelle une quatrième fois, en laissant sonner autant que nécessaire. Il a même chargé Maro de mettre une alarme pour les cinq minutes.

“Et le plus surprenant, Satoru-chan, c’est qu’au bout de six ans de cette pratique, tu ne te décides toujours pas à poser ton téléphone sur le chevet ou à me répondre convenablement.” Me sort cet enfoiré, en guise de bonjour, lorsque je décroche, avachi sur le sofa.

“J’en ai une de réponse convenable, j’espère juste que tu n’as pas mis le haut-parleur.”

“J’ai du travail pour toi. Je suis certain que tu vas trouver l’idée amusante.”

“La seule chose qui m’amuserait, ici et maintenant, Gekkô, ce serait que tu t’électrocutes avec ton putain de portable. ”

“Je t’attends au bureau.”

“Laisse pas ta cafetière vide, parce que tu vas attendre longtemps.” Je grogne avant de balancer le portable au fond du chevet et de m’enrouler dans mon drap.

Ma jambe me lance encore quand je me réveille, du bout des doigts, j’effleure la cicatrice, là où le béton à écrasé une partie de l’articulation. Même sans canne, je vais boiter, m’a dit le médecin, uniquement lorsque je fatiguerai, au début. Mais en vieillissant, il faudra “envisager d’être un peu moins autonome” pour “économiser la rotule”.

Je sortirais Kaemon de sa foutue urne juste pour pouvoir la lui montrer, ma jambe esquintée, mon tribu pour sa hanche dans le même état. L’histoire aime l’ironie.

Tiens, mon téléphone qui sonne encore. Ça m’étonnait, aussi, que l’animal laisse tomber si facilement, avec six cent ans au compteur, on a un surcroît de patience auquel aucun mortel ne peut prétendre, j’imagine.

En tout cas, il a certainement plus de réserve que moi. Je décroche.

“La famille Kondo est ravie de votre appel et vous invite à nous joindre ultérieurement ou à aller vous faire mettre, de préférence vite, loin et PROFONDÉMENT.”

“Pardon ?” Couine une voix étranglée à l’autre bout du fil. Oups.

“Hem, excusez-moi une seconde, je vous ai pris pour quelqu’un d’autre.”

Je jette un coup d’œil à l’écran.

Banque.

“Non, finalement, ne changez rien, ça marche pour vous aussi. Vous voulez ?”

“Vous… vous êtes bien Kondo-san ?”

“Hélas.”

“Je… je vous appelle pour la régularisation de vos comptes, suite à une demande de prélèvement. Elle risque de mettre vos comptes dans le rouge, aussi, je préférais voir avec vous…”

“Une demande de prélèvement ? De qui ?”

“Il semblerait… qu’il s’agisse du solde d’une dette, au nom d’un particulier, à qui vous avez laissé procuration. Il effectue des prélèvements mensuels réguliers mais il apparaît que vous vous soyez entendus pour solder aujourd’hui. Vous confirmez ?”

“Votre particulier, il aurait pas le kanji de la lune quelque part dans son nom, par hasard ?”

“De… attendez… maintenant que vous le dites, en effet il s’agit d’un certain…”

“Je m’arrangerai avec lui. Merci pour tout. Et n’oubliez pas ce que je vous ai dit en décrochant, ça me fera des vacances et à vous un bien fou. Je vous embrasse.”

On verra plus tard pour les considérations philosophiques sur ma rotule, j’en ai deux à casser à Shibuya.

***

Gekkô m’attendait assis en bas de son building, dans les fauteuils destinés aux visiteurs, flanqué de son mignon petit couple oni, qui se place entre lui et moi en me voyant lui foncer dessus, la haine dans l’œil.

“Comment, bordel, comment tu peux avoir procuration sur MON compte !? Réponds tant qu’il te reste des dents.”

Gekkô baille et s’étire, nonchalant, avant de gratter une des oreilles pointues.

“Si ce n’était pas le cas, tu vivrais sous les ponts depuis un certain temps, puisque tu ne le regardes ni ne le vérifies.”

“Et de quel droit tu te PERMETS de le vider ?”

“Vois ça comme… ah, comment disent les jeunes parents, déjà… Shinzu, j’ai employé le terme tout à l’heure.”

“De l’argent de poche, Gekkô-shachô.”

“C’est ça ! Je viens de te priver d’argent de poche, puisque tu refuses de travailler.”

Il me dédie un immense sourire, fier de sa sortie et sa queue frétille.

“Je ne pensais pas pouvoir le dire un jour, en fait, depuis que tu es grand. C’est exactement ça, tu es privé d’argent de poche. Normalement, il serait de bon ton de te fesser mais je crains que cela n’amène des sous-entendus douteux. Surtout si tu comptes raconter ces évènements sur ton blog.”

“Que tu vas t’empresser de lire, évidemment.”

“Évidemment.”

Et il baille à nouveau, avant d’étirer ses interminables membres, puis d’entreprendre de se curer les griffes. Les deux oni n’ont pas bougé et me font un signe sans équivoque. En somme, si Gekkô ne va pas me mettre de fessée, ses gorilles prendront la relève sans problème.

“C’est bon, j’ai compris.”

“Ça j’en doute, Satoru-chan, sinon nous n’en serions pas à tergiverser avec ce genre de chantage alors que tu as presque trente ans. Suis-moi, nous avons de la route.”

Me devançant, il pousse la porte du building, en direction de la voiture garée devant. Shinzu me ramasse par le sweat et je lui en retourne une.

“Je peux marcher. Garde tes paluchages pour ton coreligionnaire.”

“Shinzu, Maro, cessez de jouer avec ! Ce n’est pas le moment.” Soupire Gekkô, faisant signe à ses gros bras d’ouvrir les portières. Une fois installé, il sort son téléphone portable et lance un appel, pendant que je m'assois à bonne distance.

“Fujima-san ? Gekkô Setsu. J’espère que vous allez bien, comme convenu, nous arrivons. Elle est déjà là ? Parfait, quelle ponctualité… croyez bien que je regrette ce retard, le professionnel a eu un petit contretemps, il est désolé.”

“Je ne suis PAS désolé.” J’énonce à voix suffisamment forte pour être entendu par l’interlocuteur de Gekkô, qui reste souriant, inébranlable.

“Oui, il a de l’humour, vous n’avez pas idée. Nous serons sur place dans une vingtaine de minutes, sans faute. Merci infiniment pour votre patience, Fujima-san.”

La voiture a pris de la vitesse, en direction du périphérique, puis se détache de la route principale en direction de la banlieue. Gekkô a ouvert le minibar, que je referme d’une main.

“Non merci. Qu’est-ce que tu m’as trouvé comme bicoque pourrie à assainir, encore ?”

Après quelques secondes de flottement, il retire la main du bar et me jauge, avant qu’un autre sourire, plus narquois, ne lui relève les coins de la bouche. Il se renfonce dans la banquette, les jambes croisées.

“J’étais à une réception la semaine dernière. As-tu déjà entendu parler de Seichiro Fujima ? Peut-être l’as tu fiché quelque part ?”

“Tu sais très bien où terminent mes fiches, Gekkô. Accouche, tu nous prépares des triplés, là.”

“Fujima est un amateur d’occulte, qui croit dur comme fer à l’existence des fantômes, il semble même convaincu que les quelques squelettes présents dans ses placards pourraient lui valoir d’autres inquiétudes que la justice. Aussi a-t-il embauché, au prix fort, une chasseuse de fantômes, une britannique.”

“Une exorciste ?”

“Précisément pas.”

Rallumant son portable, il me le tend après avoir chargé ce qui ressemble à un site internet, en anglais, avec des allures de cabinet d’expertise, connards à sourire brillants et peau plastifiée à l’appui.

“Ils font quoi, des placements en bourse pour les spiritueux ?”

“En quelque sorte : ce sont des chasseurs de fantômes.”

Sa griffe effleure l’écran tactile, dont l’image pivote pour révéler une photo, rendue presque floue par la quantité de filtre qu’il doit y avoir dessus, d’une fille rousse, cheveux courts, vêtue d’un treillis et harnachée d’une sorte de coque en plastique, tenant en main, souriante, ce qui ressemble vu de loin à un oscilloscope. À la taille, elle porte attachée un rectangle noir et luisant, une tablette tactile.

“C’est un gag ?”

Nouveau coup de griffe de Gekkô, dévoilant un tableau où s’affichent des chiffres qui font faire à ma salive un aller-retour dans ma trachée.

“Deux… DEUX MILLES BOULES pour une expertise ?”

“Je t’ai toujours dit que tu pratiquais des tarifs de pauvre, Satoru-chan.”

“Sûr que si tu me les siphonnes derrière, ça aide pas. Ils facturent DEUX MILLE DOLLARS pour une visite de maison hantée ? À ce prix là, ils te remontent le pantalon après usage, j’espère ?”

J’ai pris le téléphone des mains de Gekkô pour revenir à la photo de la fille. Elle sourit dans un rayon de lumière, le visage aplati par le lissage photo, j’ai vu des fantômes moins malsains que ça. La légende indique “ Jesse F. Lindon”, que je google aussi sec.

“Hmmm, je vois que tes cours d’informatique sont payants, Satoru-chan, tu as acquis les bons réflexes.”

“Et j’y balance pas le prix d’un chasseur de fantôme pour autant… Ancienne bonne sœur… Sérieusement ?!”

“Ma foi, ce n’est pas plus ridicule que “fils de renard”, non ? Cela en fait une personne pleinement qualifiée pour ce poste.”

“Qualifiée, mon cul, on devient pas sensible aux manifestations du monde inférieur en restant les yeux rivés au ciel comme un gland ! C’est elle, que ton industriel a embauchée ?”

“Précisément. Et il vient de la mandater pour procéder au “nettoyage” d’une ancienne imprimerie, ravagée par un incendie. Les murs sont encore debout mais ne sont pas les seuls, si tu vois ce que je veux dire.”

Même si ça m’agace, je reconnais que Gekkô et moi avons ceci en commun : le même air satisfait après avoir balancé nos blagues de mauvais goût. Et pour quelqu’un qui bouffe de l’humain vivant, j’imagine que le mauvais goût est un sacerdoce.

“Et qu’est-ce que je viens faire dans ton remake de ghostbusters, moi ? Je lui fais un massage au slime, à l’ex-nonne ?”

La voiture est entrée dans ce qui ressemble à une zone industrielle et je sens, familière, la chair de poule qui commence à me remonter le long des bras. Des présences fugaces, mais rien de vraiment crade… pour l’instant. Gekkô a cessé de sourire.

“Rien… si ce n’est pas nécessaire.”

“Et qu’est-ce qui pourrait rendre “nécessaire” mon intervention ?”

“Tu dis toi-même qu’elle n’est sans doute pas compétente. Que se passera-t-il, à ton avis, si elle réveille ce qui dort dans cette imprimerie sans pouvoir en venir à bout ?”

Un beau merdier et potentiellement quelques morts, en plus de cette illuminée. Ce ne serait pas la première à croire pouvoir renvoyer un esprit avec un sûtra en édition économique et un bâton d’encens acheté à Daiso Harajuku . Ni la dernière à finir dans ma liste d’anecdotes dégueulasses à raconter aux repas de famille. Seulement, il reste les collatéraux…

“Laisse-moi deviner : y’a un bâtiment à toi qui jouxte cette ex-imprimerie et t’as la trouille que sœur Marie-Jesse de la miséricorde te le contamine.”

“J’ai proposé un partenariat avec Fujima afin de maximiser les chances d’un exorcisme sans complication. Qui plus est, il trouve l’idée de confronter deux modes opératoires très enrichissante.”

“Pour les urgences ?”

“Satoru-chan, cesse d’être de mauvaise foi. Il te suffit de superviser. Nous n’avons pas envie, ni toi, ni moi, d’un second incident comme celui du gymnase, il me semble.” Me souffle-t-il en tendant la main pour récupérer son portable. Je le lui balance quasiment, sans un mot.

“Tu as régulièrement besoin qu’on te rappelle les tenants et aboutissants de ta fonction, Satoru-chan.”

Nous arrivons en vue d’une structure noire, dont les piliers tranchent avec la lumière encore vive du mois de septembre, comme une silhouette cadavérique. Faut être complètement taré pour vouloir acheter un machin pareil, même sans mon sixième sens je serais capable de dire que ça pue la hantise à des kilomètres. La partie avant du bâtiment ressemble au bas d’une mâchoire noire, ouverte comme pour avaler le ciel.

“Et puis, la vie sans risques est ennuyeuse, hmmm ?”

Je déverrouille la portière et entortille ma sacoche autour de mon épaule, avec un regard rapide à Gekkô.

“Va dire ça à mes élèves.”

Derrière les murs de l’imprimerie, deux silhouettes nous attendent, parmi lesquelles je reconnais Lindon, la rousse incendiaire plastifiée du site, qui pianote sur sa tablette. Elle doit faire deux têtes de plus que moi, toute en longueurs nerveuses et musculeuses, tranquillement adossée à l’un des murs. Elle perçoit ma présence lorsque je passe le portail et relève les yeux sur moi, sans s’attarder. Mais son expression a tiqué.

Fujima – je suppose que c’est lui – porte une bonne quarantaine mal assumée, un probable début d’arthrose qui l’empêche de se tenir droit et ce faux sourire paternaliste qu’ont tous les patrons, passé un certain âge, réflexe que Gekkô a parfaitement adopté, par ailleurs. Malgré ma jambe douloureuse, j’avance à pas rapide, comme on charge quelqu’un qu’on a envie d’encorner.

Gekkô m’a mis sur les dents, volontairement. Et bordel, ce qui m’excède le plus c’est d’en être pleinement conscient et de marcher malgré tout. Fujima ajuste sa veste et me sourit.

“Kondo-san ? Je suis…”

“Au milieu. Allez attendre plus loin pendant que bobonne s’en occupe.”

Arrivé derrière moi, nonchalant, Gekkô me repousse tranquillement derrière lui.

“Fujima-san, désolé pour le retard. Je vous présente Satoru Kondo…”

“... qui aimerait procéder.”

“... mon fils.”

Fujima me fixe. Me scanne, devrais-je plutôt dire. Son sourire frémit, le masque peine à tenir. Je sens qu’il cherche une banalité qui ne soit pas ouvertement grossière ou narquoise. Il s’incline finalement. Jolie esquive.

“Enchanté.”

“Vous ressemblez à votre mère, non ?” Demande, en anglais, une voix sur ma gauche. Lindon s’est détachée de son pan de mur pour approcher. Elle fait de grandes enjambées, presque des sauts légers, prudente à ne rien piétiner. Ses yeux balayent, dans un mouvement circulaire, tout l’espace alors qu’elle avance.

Lorsqu’elle me tend la main, je me contente de croiser les bras, souriant. Elle ne s’en offusque pas et se contente ramener sa main dans la poche de son treillis.

“Je ne suis pas là pour vous prendre votre travail, vous savez. Je n’en manque pas. Et je suis flattée de vous voir à l’œuvre, vraiment flattée. Alors vous, votre méthode, c’est la prière ?”

“Non. La flexion-extension podologique. Le coup de pied au cul.”

“Oh, les fantômes ont un cul ? J’ai hâte que vous me montriez ça. J’ai lu votre blog, avant de venir, c’était pa-ssio-nnant. J’aurais d’ailleurs quelques questions sur la malveillance, puisque nous sommes là…”

Sans me départir de mon sourire, je la contourne pour m’approcher du bâtiment, suivant des yeux les traces noires qui forment une ligne régulière, cherchant des yeux, des autres sens, la présence tapie derrière. Une colère, un désespoir… quelque chose qui rattache une âme au béton.

“C’est à ma cousine qu’il faut demander. Elle vous expliquera comment on balance un môme de quatorze ans en guise de chair à canon pour cause d'exorciste incompétent. C’est “instructif”, comme vous dites. Et plus qu’utilisé dans votre apostolat, je crois.”

Le sourire de Lindon pâlit, à peine. Elle s’efforce d’ignorer mes piques, quand bien même son ego ressemble déjà à un oursin.

À quelques mètres de nous, sur le flanc droit du bâtiment, le béton éventré dégorge de ramettes de papier détrempées et de cendres formant un dépôt pâteux grisâtre qui se mélange à la boue. Je m’agenouille pour glisser les doigts dedans, puis le passe le long du papier gondolé. Qu’est-ce qui peut pousser quelqu’un à hanter un préfabriqué de banlieue ? Comme hantise, on fait difficilement plus minable, je sais bien que la mort n’est pas toujours glorieuse mais on est pas loin du washlet ou du vieux karaoké de province, en terme de loose. Le pas de Lindon crisse derrière moi.

“ Alors… d’après vous il y en a combien, là-dedans ? M. Fujima, savez-vous combien ils étaient, quand ça a brûlé ?” S’enquiert-elle alors qu’elle s’immobilise près de moi. Je note, attachée contre sa cuisse, une grappe de petits crucifix, qui oscille à chaque mouvement et recouvre un holster dont dépasse la très reconnaissable crosse d’un taser. Combien de tocards comme elle s’imaginent les fantômes sensibles à l’électricité ?

“Ça ne veut rien dire. On peut avoir affaire à un esprit vivant.”

J’essuie mes mains sur une pile de feuilles noyée de marbrures d’encre en me redressant, le nez levé vers le sommet de la structure. Quelque chose est bizarre… le silence.

Un esprit - vivant ou mort - ça parle, ça crie, ça se manifeste, ça “respire” d’une façon ou d’une autre, certains font même davantage de bordel que les humains tangibles. Et là, rien. Notre fantôme est un calme.

“C’est vrai qu’ici vous avez ce genre-là aussi…”

“Ici ou ailleurs. Il faut une sacrée dose de prétention pour s’imaginer que seuls les morts ont de l’esprit.” Je réplique en haussant les épaules, ce qui la fait rire.

“ Excellent ! Excellent ! J’aime les pros qui ont de l’humour, il en faut dans ce métier ! Vous avez autant de répondant que j’ espérais, nous allons faire un travail génial vous et moi. “

“ MOI et vous. “

Gekkô se racle la gorge et je jette un regard par-dessus mon épaule. Il sourit. C’est ça qu’il espérait, ce renard foireux, à jouer les népotiques papas modèles… que je lui serve de poulain pour fermer son claque-merde à Fujima et à sa bonne sœur. Je double le mala à mon poignet et adresse un mouvement de tête à Lindon, en direction de l'ouverture.

“ Les dames d’abord. “

“ Avec plaisir.”

“Comme ça, si vous encaissez pas le premier coup, je serai prêt pour le second. “

Elle entrouvre la poche de son treillis et humecte ses doigts avec une petite bouteille métallique, puis ses lèvres, ses yeux, formant un signe de croix.

“ Eau bénite ? “

“ Première qualité. Vous en voulez ? “

“ J’ai ce qu’il faut.”

Un bricolage plutôt bien vu de Shinkin, qu'elle utilise aussi : cinq sachets de sel en papier, fixés par une pression à la ceinture, qu'on peut déchirer en tirant dessus. Plus pratique que de promener avec la salière coincée dans la poche arrière.

Alors que j'emboîte le pas à Lindon, je note ce qui ressemble à une bonbonne d'oxygène, en plus petit, attachée sur son dos. Lorsqu'elle se hisse à l'intérieur, un bruit liquide s'en échappe.

“ Vous en avez trimballé combien de litres depuis le Vatican, de votre eau bénite ?”

Lindon s'immobilise à l'entrée de l'imprimerie, semble humer l'air, puis se tourne vers moi.

“Vous le sentez ? L'esprit ?”

“Oui. Mais c'est pas un vaillant ni un agressif. Ce genre-là, en général, je leur fous la paix.”

“C'est pas très “pro”, non ?” Me demande-t-elle, l’air perplexe. “Une fois payé, c'est ce que vous répondez à votre client ?”

“Même les putes ont de l'humanité. Plus que les religieux, visiblement.”

“Je ne suis PLUS religieuse.” S’énerve Lindon. “Comment détectez-vous les fantômes ?”

“Le radar est compris dans mon package génétique. Je sais quand ils sont là.”

Elle passe la main dans son dos, sur la bonbonne, et en décroche un minuscule tuyau souple, qu’elle raccorde à sa ceinture.

“Vous savez… C’est un peu court et imprécis, non ?”

“J’ai les poils qui se dressent. C’est assez pr