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Les renards viennent de Vénus

Il est assez souvent question de mon humour - dont le raffinement dispute à l’incroyable justesse avec lequel je l’utilise sur le terrain, vous l’avez sans doute remarqué. Il serait parfois de “mauvais goût” me dit-on et qu’un métier impliquant de se confronter aux esprits ne m’autoriserait pas à en faire. De l’esprit, suivez un peu.

Paraîtrait que j’ai l’humour d’un renard.

Et là je dis non.

J’ai certes le verbe inopportun, entre celui des piliers de bar et des cyniques pseudo intellos dont le courage est inversement proportionnel à la véhémence.

Mais il n’a rien - je dis bien RIEN - à voir avec les plaisanteries tordues des kitsune, les kami m’en préservent.

Et si vous ne me croyez pas, petite démonstration.

Vous viendrez ensuite me dire quel goût a mon humour.

***

“J’ai plus que l’étage à faire.”

“L’étage, c’est bien là où se trouve ta boutique de référence, qui cumule autant de mauvais goût que de prix à quatre chiffres ?”

“T’exagères. T’es venu aussi pour toi.”

“Vrai. Entre une paire de baskets et quatre jupes, un nouveau strap, une coque pour ton portable - qui a une garde robe plus grosse que la mienne - un tee-shirt - rose avec des crânes verts, mon préféré - et trois nouveaux jeux pour ta console, y’a pas photo, c’est pareil. Je fais vraiment chier pour rien.”

“Hé t’y joues à la 3DS !”

“Et tu comptes aussi me faire porter le tee-shirt ?”

Au regard de Shinkin, je regrette instantanément cette remarque. Elle semble réfléchir quelques secondes avant que ne tombe la sentence :

“Tu serais mieux avec du rouge.”

“Et des crânes verts ?”

“Ben non. Bleus. T’as pas regardé les autres motifs ?”

“Ma conjonctivite savait déjà plus où donner de la tête, faut dire.”

“Crétin.”

“Le crétin, c’est aussi ton porteur, petite morue ! Alors si je t’entends encore, tu portes TOUTE seule !”

Je râle dans le vide : la garce s’est déjà dirigée vers l’escalator du centre commercial, avec une démarche de princesse. Elle attrape mon tee-shirt quand je la rejoins.

“Et puis franchement, c’est moche ce que tu portes.”

“Attendu ta notion du “beau”, tu pouvais pas me faire de compliment plus sincère.”

“N’empêche que si tu trouvais des tee-shirt plus sympa…”

“Ah mais je proteste. Quand je rentre du boulot, mes fringues sont aussi colorées que les tiennes et en relief, en prime.”

“T’es dégueulasse.”

“Pas autant que ton daltonisme vestimentaire. Et puis faudrait savoir : je croyais que tu voulais pas voir de fille me tourner autour ? Et elles résisteraient difficilement à ma silhouette de bishônen dans un tee-shirt rouge à crânes bleus, à t’écouter. Si je fais les sorties des urgences ophtalmo, je suis bon pour la partouze.”

Elle me pince le coin du bide avec un regard de castratrice qui me fait doucement rigoler.

“VRAIMENT dégueulasse.”

“Je défends juste mon honneur. Enfin ce qu’il en reste. Et j’ai la trouille de ce que Murakami pourrait penser si tu m’habillais. T’imagines s’il voit ça comme une invitation ?”

“Il a pas besoin de ça pour s’inviter.” Me rétorque-t-elle acidement.

“Là, TU deviens dégueulasse. Jun est un connard mais il mérite pas que tu craches autant dessus, surtout quand je le fais déjà depuis des années.”

“C’est une connasse, tu veux dire.”

“Hé...l’homophobie primaire, tu te la gardes. Surtout avec tout le yaoi que tu t’envoies.”

Des mois que l’école me bassine avec un “suivi psychologique” pour Shinkin. Des mois que je leur réponds que s’il existe des psy pour onmyôji, ils sont soit morts, soit yôkai, soit encore plus atteints qu’on ne l’est chez les Kondo. Le mien pleurniche régulièrement au ministère que je fais de l’origami avec ses prescriptions, j’imagine sa gueule en voyant arriver le modèle miniature version féminine.

Ce dont a besoin cette petite, c’est d’être aidée, me disent-ils.

Ce dont a besoin cette gamine, c’est de pas être seule, surtout. C’est que je sois là. Que sa greffière de meilleure copine soit là. Que sa mère soit là. Que son père soit là. Et quoique les quatre partis se foutent sur la gueule en coulisses, ils arrivent à assurer les représentations. C’est l’essentiel.

Même si j’ai les pieds à l’état de pulpe sanguine, que mes bras ressemblent à des barres de penderie et que ma patience a déserté en me laissant me démerder. Et que pour en avoir davantage marre que moi dans cette situation, il faudrait être une mère de quatre gosses à Disneyland Tokyo. Un jour de pluie.

“Après on ira boire un truc, si tu veux ?” Finit-elle par proposer, arrivée en haut de l’escalator. “Tu pourras reposer ton genou.”

“Et je pourrai boire à table ou tu réclameras une gamelle pour moi ?”

Enfin un sourire, j’y croyais plus. Shinkin a tellement l’habitude de mon humour qu’il l’amuse à peine mais parfois, il ébranle encore un peu sa façade de petite bonne femme. Je vais sûrement devoir attendre la fin des années tyranniques de l’adolescence pour qu’il fasse à nouveau mouche avec elle.

Calant un peu mieux les sacs sur mes bras, je longe les vitrines. Ici, au dernier étage, le brouhaha se calme un peu, les essaims de mômes sont plus clairsemés et on peut circuler à plus d’un mètre/minute.

“On est pas déjà passés là ?”

Je suis presque certain de reconnaître ce chemisier brodé de perles multicolores - que Shinkin trouvait “stylé”. Elle s’est d’ailleurs immobilisée elle aussi.

“Pourtant, on a fait le tour.”

“Mes pieds confirment.”

On a beau dire, chez l’humain, l’animal n’est jamais loin. Le silence, qui jusque là m’avait juste provoqué un bien-être béat, me paraît soudain beaucoup plus inquiétant. Je jette un coup d’oeil par-dessus mon épaule. C’est moi ou il y a encore moins de monde à l’étage qu’il y a dix minutes ? Des groupes massés autour des vitrines, il semble ne rester qu’une poignée de visiteurs dont la démarche lente ne m’évoque pas vraiment le chaland lambda. Shinkin a dû avoir la même pensée que moi car, d’un pas rapide, elle gagne la vitrine suivante… et m’adresse un petit mouvement de tête entendu.

“C’est la même.”

Je dépose les sacs à mes pieds, lentement, les sens aux aguets.

On s’est fait piéger comme des débutants, probablement en arrivant à l’étage, trop occupés à se chamailler : quelqu’un vient de nous enfermer dans une illusion.

L’escalator est hors de vue, seules les vitrines, ruisselantes d’une lumière vive de milieu d’après-midi nous entourent… nous encerclent, même, dans une infinité de couloirs de verre scintillant.

Tu es décidément imprudent...

Même si mes fils se touchent assez pour provoquer des court-circuit, je n’ai pas rêvé cette petite voix narquoise, celle d’un kitsune… un ou une, d’ailleurs ?

Shinkin tapote contre chaque vitrine, puis frappe plus fort, en vain. Notre renard est un bon, seul les yôkai de plusieurs siècles sont capables de reproduire parfaitement une architecture humaine aussi complexe et détaillée, de savoir imiter la lumière à la perfection… et d’y attirer deux onmyôji. Je souris.

“Je sais pas où tu te planques mais tu vas avoir mal quand on va sortir.” Je lance, à voix haute.

Un rire sifflant, aigu retentit dans les hauts parleurs au-dessus de nos têtes et résonne dans l’espace. De son côté, Shinkin est en train de placer des fuda au pied d’une des fausses vitrines, puis presse, de sa main libre, la boucle de son sac, jusqu’à s’enfoncer l’angle dans la paume… règle de base, dans un maboroshi, ne jamais perdre le lien avec ses véritables sensations, afin de ne pas laisser celles induites par l’illusion prendre leur place. Et rien n’est plus réel, plus brut, plus primaire que la douleur. Je referme le poing et serre, jusqu’à sentir les picotements des ongles dans ma peau.

“Je m’en occupe.” Me signifie Shinkin, déclenchant un autre rire, plus sonore. Au moins quelqu’un se marre bien, mais d’ici quelques minutes, pas sûr que ce soit le même…

L’illusion est bluffante : jusqu’au carrelage et au son que font mes pieds dessus, au soleil qui surplombe l’immense verrière du centre commercial. Et lorsque je me penche au-dessus de la balustrade pour regarder les étagères inférieurs, je ne trouve que mon propre reflet et le plafond, démultiplié comme dans un kaléidoscope, des centaines de facettes qui se répondent les unes aux autres.

Comment trouves-tu ? Vertigineux, non ?

Mon visage m’apparaît multiple, déformé, coupé par les lignes de verre, dans une sorte de puits de cristal.

“Vertigineux, oui. Ça avance ?”

“Oui, oui, me parle pas, je me concentre.”

Je jette un œil par-dessus mon épaule et constate que Shinkin a bardé de fuda toute la ligne de vitrine. Elle retourne son sac pour récupérer tout ce qui lui reste comme papier, histoire de compléter.

“Tu y vas un poil fort, va pas nous faire exploser avec.”

“Je gère.” Me répond-t-elle avant de commencer à écrire un nouveau fuda sur un emballage de bonbon. De suite, je me sens plus en confiance…

Mais elle a besoin de reprendre le boulot. De sentir qu’elle peut y arriver, sans que je sois là. Alors je reste accoudé à contempler les lignes brillantes de l’illusion, presque serein. Et je distingue au milieu des reflets, une silhouette rouge et blanche.

Le yôkai.

LA yôkai. Une kitsune à la peau laiteuse, dans un immense kimono, formant une flaque écarlate autour d’elle. La tête levée, elle me dédie un sourire narquois et un petit signe de la main. Je lui rends son sourire et son image se brouille… puis disparaît.

“Shinkin, je te laisse finir le gros œuvre. Je m’occupe des finitions.”

J’enjambe la balustrade et me laisse tomber en contrebas. Une seconde, le vertige m’envoie une bouffée d’adrénaline, qui se calme aussitôt. Tout ça n’est pas réel, l’espace est distordu, la sensation de chute factice. Lorsque j'atterris sur le sol de verre, mes pieds ne font aucun bruit et la sensation de contact est aussi légère que si je m’étais reçu sur du coton. Tant que je parviens à rester conscient que tout ça n’existe pas vraiment, je limite les risques d’encaisser des dommages.

Face à moi s’ouvrent des dizaines de couloirs de verre, lumineux et interminables, un réseau troglodyte de miroirs. Dommage que ça soit destiné à me piéger, sans quoi la promenade serait pas désagréable. Le rire de la kitsune résonne à ma droite. Je prends le couloir de gauche et me retrouve rapidement encerclé par des dizaines de frères jumeaux qui semblent me guetter et reproduire mes mouvements. J’ignore mes reflets et progresse, aux aguets, dans le labyrinthe.

“Belle illusion. Tu as de l’imagination !”

“Merci, Satoru-chan.”

Le couloir se termine en cul de sac mais, avant que je n’aie eu le temps de faire demi-tour, le décor parait basculer autour de moi et je glisse le long des parois vitrées, jusqu’à un autre couloir, que je remonte.

“On se connaît ?”

“De près.”

Sa voix se rapproche. Elle me suit, me piste, même. Elle attend le moment le plus propice pour attaquer.

Mais tant qu’elle est sur moi, Shinkin peut bosser tranquillement. Et je connais les renards : les yeux plus gros que le bide, ils s’attaqueront au plus intéressant plutôt qu’au plus facile, c’est irrésistible pour eux. Quand bien même le plus gros peut leur coller une tannée mémorable et définitive. Je passe le mala autour de mon poing et fais craquer mes articulations. La voix se rapproche.

“Oh ? Pas de magie ?”

“Je suis du genre tactile. Surtout si on est des intimes.”

Vu le terrain, le temps que j’aie terminé ma récitation, ma gueule sera passée de l’état solide à liquide si j’y vais pas au corps-à-corps. Alors que j’hésite sur le chemin, je perçois du coin de l’oeil, quelque chose d’étrange.

L’un de mes reflets est immobile. Dans la même position que moi, mais étrangement fixe…

Il tourne la tête dans ma direction et me sourit.

Lentement, je pivote sur moi-même et mon image - mes dizaines d’images - suivent le mouvement. Pas l’autre reflet, qui croise les bras en me fixant droit dans les yeux. Puis se met à rire, dévoilant des crocs et une mâchoire écarlate, presque difforme, faisant résonner dans le boyau un ricanement guttural, inhumain.

Le verre explose alors, ou plutôt se déchire comme du papier et la renarde me tombe dessus. Je la saisis par le revers de son kimono pour lui coller les deux pieds dans l’estomac et la projeter au-dessus de moi. Ses griffes m’effleurent le nez et m’entaillent à peine la peau. Elle se réceptionne souplement à moins d’un mètre, se repositionne et s’avance à nouveau vers moi… avant de disparaître.

Je ferme les yeux. Ne pas me laisser avoir. Ma vue ne peut que m’embrouiller, ici, et fausser mes autres perceptions.

Du mouvement. À droite. un déplacement d’air, la sensation électrisante d’une aura monstrueuse, diffuse mais bien présente...

J’ai juste le temps de faire volte face pour parer l’attaque dans mon dos. Ses dents claquent, si proches de ma gorge que ma peau se couvre de chair de poule, dans un réflexe de survie pure. Je ne connais pas son millésimé, mais vu que son illusion ne s’est même pas troublée pendant son assaut, je n’ai pas affaire à une débutante. Je lui décoche un solide coup de boule pour la forcer à reprendre une distance de sûreté et elle s’évapore à nouveau. Mais je la devine, en train de me foncer dessus. M'accroupissant pour esquiver le coup, je frappe à ma droite, là où je sens arriver son attaque. Ou bien elle a frappé au hasard…

Ou bien elle sait que je suis gaucher et évite volontairement mon côté dominant.

Je recule, pare un autre coup en bloquant sa main avant de lui coller une droite qui lui arrache un grognement aigu de douleur et l’enchaîne, à la gorge et au torse, pour lui couper le souffle.

Que dalle.

Que. Dalle.

Ça ne l’étourdit même pas. Elle réplique avec un coup de patte qui me colle au sol instantanément et met mon cerveau sur la playlist “chant d’oiseaux et concerto de bourdons”. La lumière passe du blanc au rouge et mes poumons se contractent sous le stress, me privant une seconde de mon souffle alors que je roule sur le sol, lourdement, pour rester hors de portée.

Au-dessus de moi, la kitsune détend un peu son kimono sur un décolleté proprement hypnotisant,

même vu d’en bas. Elle essuie, négligemment, un peu de sang qui perle de ses lèvres et se les lèche.

“Je t’ai connu plus fuyant en combat, Satoru-chan.”

“D’où… on se connaît?”

Elle me dévoile ses crocs.

“Je laisse le soin à ton esprit de déduction de trouver cette réponse.”

“Je pense que je m’en souviendrais. Ou alors j’étais vraiment bourré.”

“Mais c’est le cas, tu peux me croire. Déjà fini ? Je t’ai à peine touché.”

Elle se penche sur moi et me pousse du bout du pied. J'attends qu’il frôle mon poignet et le saisis, avant de la faire basculer au sol pour lui expédier un coup de latte en plein estomac, puis au visage. Et elle ne bronche pas, elle intercepte même mon pied, avant de se redresser, me soulevant d’une seule main, pour me balancer contre une paroi en verre comme on le ferait d’une portée de chaton. Illusion ou pas, le contact du verre contre mon nez à cette vitesse me fait remonter deux pics aigus de douleur dans les sinus, en même temps qu’une odeur de cuivre chaud.

Aïe, pour faire plus synthétique.

Mon cerveau n’arrive plus à se distancier de l’illusion, dont l’effet est décuplé par l’adrénaline.

“T-T-T-T. Tu rouilles.”

Je dérouille, plutôt. Mais d’où elle sort, cette foutue renarde ? Mes coups ne lui font rien, et elle se paie même ma gueule en me déboîtant d’une seule main tout en maintenant son illusion. Lorsque je me redresse, c’est pour la voir attendre patiemment que j’aie repris mes esprits et le contrôle de ce qui reste de mes cavités nasales, en train de piqueter les vitres autour de moi de petites taches écarlates d’ADN.

“Oups. Désolée.”

Désolée ?? Elle me met une raclée et s’excuse ?

“Je ne retiens pas toujours mes coups lorsque je m’amuse, tu sais ce que c’est, Satoru-chan.”

“Vu que j’ai jamais tué personne pour me détendre, je te crois sur parole.” Je renifle en essuyant mon sang du revers de ma manche. La kitsune lève une oreille perplexe en me voyant faire et sort un mouchoir de la manche de son kimono pour me le tendre.

“Oh, ne fais pas l’enfant, il n’est même pas cassé. Pouvons-nous reprendre ?”

“Avant ou après le moment où tu tartines les parois de ton foutu maboroshi avec mes fluides corporels ?”

Prudemment, je prends le mouchoir et le déplie. Alors que j’essuie le sang qui me dégouline sur la bouche, je note les kanji imprimés sur le tissu.

Dont celui de la lune.

Je relève les yeux sur la kitsune, avantageusement cambrée au milieu de son tapis de miroirs. Elle contemple son reflet d’un air satisfait. Lentement, je m’approche d’elle, pris d’un doute.

Attends…

Lorsque je suis à moins d’un centimètre d’elle, elle me sourit et prend le mouchoir des mains pour finir de m’essuyer.

“Il n’est peut-être pas opportun de poursuivre, Satoru-chan. Je risquerais de te casser quelque chose. Et puis il semblerait que…”

Près de nous, le verre se fendille, dans un craquement sonore, qui s’amplifie. La fêlure remonte jusqu’au plafond, laissant passer un rai de soleil là où l’illusion est en train de se briser.

“... Shinkin-chan soit parvenue à ses fins. Hm, elle devient efficace, ma foi, à son âge tu n’aurais pas dispersé aussi vite mon maboroshi, sans vouloir te dévaloriser.”

Les vitres explosent en dizaines d’éclats qui se dispersent dans l’air comme une poussière brillante, révélant l’étage du centre commercial et sa foule, alors qu’au silence oppressant et factice succède le brouhaha vivant des humains autour de nous, qui n’ont rien remarqué. Pour eux, tout a suivi son cours normal. Nous avons disparu le temps d’un battement de cil. Même si mon corps, lui, a très bien enregistré les coups et que l’odeur de mon sang est on ne peut plus réelle. La renarde m’attire à l’écart et minaude en finissant de me moucher.

“Je pense que tu vas avoir besoin d’un médecin, Satoru-chan. Il semblerait que j’aie quelque peu dévié ta cloison nasale.” Constate-t-elle en rangeant le mouchoir ensanglanté dans son kimono. “Mais c’était distrayant.”

Ce sourire…

Ce regard…

Et ce “-chan” paternaliste de mes deux qui me file de l’urticaire.

“G… Gekkô ??”

“Ah. Enfin. Je me demandais combien de temps tu mettrais à percer ma transformation. Mais depuis le temps que j’y travaille, j’aurais été quelque peu dépité que tu comprennes en me voyant. Comment trouves-tu ?”

Il m’indique son décolleté ambiance “vue sur la mer avec plage privative” d’un air content de lui.

“Je dois reconnaître que se battre avec ce genre de chose n’est pas évident et que j’ai dû m’y reprendre à plusieurs fois pour qu’ils entrent dans le kimono. Vos photographies de magazine sont pourtant très détaillées.”

J’ai planté. Mon cerveau, occupé à faire l’état des lieux pour me raccrocher à la réalité, semble avoir démissionné et je ne peux pas décemment lui en vouloir.

Gekkô.

En bimbo kitsune.

Et qui s’en fout complet de me voir, hébété, l’œil vitreux, face à lui, en poursuivant son analyse comparée des tailles de bonnet.

“Mais je pense avoir bien cerné le format des hanches, tiens, il faut que tu me dises ce que tu en p…”

“Garde ce kimono fermé. Par pitié.”

Il semble déçu et aplatit les oreilles. Derrière nous, un bruit de pas précipités retentit et Shinkin se jette pratiquement entre moi et Gekkô.

“C’est quoi, ça ? Elle veut qu’on lui casse la gueule ?” “Siffle-t-elle, toutes griffes dehors “Ça va, Satoru ?”

“Pour ce qui est de “casser la gueule”, Shinkin-chan, je crains que ton oncle n’ait déjà assuré le quota, de manière on ne peut moins glorieuse.” Réplique Gekkô “Et puisqu’il ne semble guère apprécier mon savoir-faire, dis-moi en toute sincérité, en tant que représentante du sexe féminin… Qu’en penses-tu ?”

“JE T’AI DIT DE GARDER TON PUTAIN DE KIMONO FERMÉ !!!!”

Dommage.

Moi c’est les yeux que j’aurais du garder fermés.

***

“Un café glacé.”

“Un gabunomi melon”

La serveuse laisse planer un silence en me regardant. Puis me voyant amorphe, élégamment vautré sur la table, risque un timide “et pour vous ?”

“Une thérapie.”

“Un thé glacé au citron.” Soupire Shinkin avant de se concentrer à nouveau sur le décolleté de Gekkô “Ce sont des vrais ?”

La gamine est largement moins rancunière que moi. Après que Gekkô ait récupéré ses paquets, abandonnés devant une vitrine lorsque l’illusion s’est refermée sur nous et nous ait invités dans un café pour que “je me remette”, elle semble dans de meilleures dispositions. Meilleures que les miennes, à vrai dire. À demi couché sur la table de café, le nez - orné d’un pansement muffins, merci Shinkin - dans mes bras, je regarde l’échange de conseils beauté d’un œil morne.

“Hé bien aussi vrai que ma forme masculine, Shinkin-chan. Mais je la tiens plus facilement, évidemment. Sans compter que je la trouve tout de même plus confortable, sans vouloir faire preuve d’un machisme honteux.”

“Ça serait peut-être plus confortable si tu t’étais transformé en femme plutôt qu’en pétasse refaite, Gekkô. La prochaine fois, évite les hentaï comme mètre étalon.” Je grogne.

“Il a raison, Gekkô-san.”

Bon, j’ai pas perdu ma journée, c’est la première fois depuis des mois que j’entends Shinkin affirmer ça. Elle sort de son sac un magazine et l’ouvre à la page mode.

“Vous voyez, il faudrait faire quelque chose plutôt comme ça, ce serait plus convaincant. Ça me sert beaucoup, la rubrique tendance.”

“Ah pour ça, Gekkô, t’as pas besoin de magie, juste de Photoshop. Et d’être mineur.”

“Toi, tu la fermes. T’y comprends rien.” Me glisse Shinkin, venimeuse, pendant que Gekkô examine le plus sérieusement du monde les mannequins japonaises sur papier glacé et les conseils maquillage. Il incline le magazine, fronce les sourcils, tire un peu sur son kimono pour s’examiner puis relève la tête, l’air perplexe, en montrant la page où deux sauterelles dont les faux cils atteignent presque le front prennent la pause.

“Hmmm… Mais j’avais cru comprendre, Shinkin-chan, qu’une femme était supposée avoir des seins ?”

Lourd silence.

Que je brise allègrement en explosant d’un rire de hyène, à m’en faire péter la rate, pendant que ma cousine baisse les yeux sur son tee-shirt, l’air écoeuré avant de pincer les lèvres, mortellement vexée.

“Ce SONT des seins. Et TOI , ARRÊTE de rire !!”

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Source de l'image : ldhren

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